Si vous passez par la route de Chancy, vous apercevrez le joli minois du Half baby beaver!

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Street art

Le bureau Pillet réaffirme son identité

10 Nov 2021 | Articles de Une

Ceux qui perçoivent les ingénieurs comme des techniciens sans grande imagination feraient bien de faire un tour à Bernex. Ils découvriront une autre facette du métier, où l’art et la créativité s’invitent au sein de la construction. Dans le contexte de la pandémie, la société Pillet s’est adaptée et a repensé son cadre de travail en menant une rénovation totale des locaux, accompagnée d’une fresque réalisée par les grapheurs genevois Tones et Defs. De plus, le propriétaire a mis à disposition la façade de son bâtiment pour que le célèbre artiste portugais Bordalo II exécute une œuvre de street art: un castor géant, entièrement conçu en matériaux recyclés, et qui est devenu l’animal totem de l’entreprise Pillet.

Au fil de ses 27 ans d’existence, le bureau Pillet a progressé, développant trois structures: Pillet SA, Pillet Développement SA et Pillet Géotechnique SA. Indépendantes, celles-ci sont capables d’œuvrer de manière complémentaire afin de prendre en charge un projet dans sa globalité. Progressivement, la soixantaine de collaborateurs que compte l’entreprise se sont trouvés à l’étroit dans les locaux principaux et les annexes situés dans la commune de Bernex. En 2020, un déménagement est donc planifié afin de bénéficier de surfaces plus vastes organisée en open space. C’était sans compter avec la Covid et son lot de mesures affectant notamment le domaine de la construction. Après moult réflexions, le déménagement est annulé et les locaux existants sont rénovés de fond en comble. Pour respecter les directives en matière de distanciation sociale, l’ensemble du personnel actif dans la direction de travaux est désormais localisé sur site (installation de structures temporaires). Les ingénieurs et les dessinateurs restent dans les bureaux de Bernex. Frédéric Ayer, l’un des trois associés de Pillet explique: «La pandémie nous a forcés à mettre en place une nouvelle manière de fonctionner. Les collaborateurs sont principalement sur les chantiers, avec un jour par semaine en télétravail et un jour sur place ici à Bernex, où des postes de travail flexibles ont été aménagés. C’est un véritable succès, le personnel est satisfait et la performance s’en trouve améliorée!».
Afin d’effectuer des travaux répondant aux nouveaux usages, un concept d’aménagement a été défini par la société de design Tetris, mandatée à cet effet. Mobilier, organisation des espaces, décoration, luminaires… tout est repensé. A la réception, un comptoir d’accueil aux formes sculpturales attire l’œil des visiteurs. Le sous-sol est entièrement réaménagé, faisant la part belle aux cloisons vitrées et aux plafonds absorbants (en pet recyclé); s’y trouvent trois salles dédiées aux visioconférences et aux réunions internes, ainsi qu’un lieu de conférence et une cafétéria conviviale. Tout est conçu pour favoriser le bien-être des collaborateurs… une salle de repos est même disponible pour se ressourcer entre deux projets.

Des artistes investissent les lieux

Afin d’animer et de donner une identité forte aux bureaux, les membres de la Direction Pillet ont sollicité les graffeurs Tones et Defs, artistes genevois et amis de longue date. Ces derniers ont eu carte blanche pour laisser libre cours à leur imagination, sur plus de 100 m2 de surface – trois niveaux – et avec 250 sprays! «Pendant la période des travaux, le soir venu, les graffeurs prenaient le relais des ouvriers, transformant les murs en tableaux vivants et colorés. Grâce à leur talent, une œuvre complète s’est dessinée, évocatrice des métiers, des activités et des personnalités qui font notre entreprise», raconte Frédéric Ayer. Tones et Defs ajoutent: «Ce projet est le fruit d’une rencontre entre les milieux de la construction et du graffiti. Partir de grands murs blancs, ressentir les différentes pièces et tenir compte de leur orientation a guidé notre créativité. Les différents échanges avec les collaborateurs ont permis de nourrir ce travail».
Le résultat est une fresque sur mesure, pleine de sens, qui intègre les notions de taille, d’espace et de lumière. Au niveau inférieur, on discerne des allusions aux fondations, à la géotechnique, mais aussi au milieu du graffiti, souvent perçu comme souterrain; au rez, le plan – base commune entre architectes, dessinateurs, ingénieurs et graffeurs – est décliné avec une dominante de rose fluo. «Ceci est un clin d’oeil aux ouvriers qui utilisent ce même rose pour faire des marques sur les chantiers», expliquent les artistes. A l’étage, le directeur des travaux orchestre les multiples corps de métier. Se retrouvent ici et là des projets emblématiques de la société Pillet, comme les Semailles, le Saint-Georges Center et l’EMS Notre Dame, toujours illustrés avec une note d’humour.

Les graffeurs Tones et Defs ont décoré les bureaux de Pillet SA.

Le castor

A l’extérieur du bâtiment se trouve une autre installation grand format, cette fois en relief: la sculpture animale du renommé street artist portugais Artur Bordalo (dit Bordalo II). Ce dernier a réalisé un castor («Half baby beaver») en matériaux recyclés qui vient s’accrocher à l’angle du bâtiment. Visible depuis la voie de tram, l’œuvre symbolise la construction; en effet, c’est grâce à leur organisation communautaire que les castors mènent un travail architectural collectif et laborieux. Saviez-vous que ces rongeurs étaient capables d’accomplir des prouesses en matière de construction et d’ingénierie, de l’abattage des arbres à l’érection de barrages?
A la demande précise de Bordalo, des déchets en métal et plastique ont été récupérés dans les bennes à ordures – pare-chocs de voiture, câbles, casques, pylônes, panneaux de chantier, etc. – puis nettoyés avant d’être «mis en scène» par l’artiste. Pendant quatre jours, Bordalo, accompagné de deux assistants, s’est affairé à la tâche, montant et taguant la structure. Half baby beaver est sa première performance en Suisse. Cet activiste écologiste – qui travaille à partir de photographies – compte à ce jour plus d’une centaine de créatures bariolées réparties dans une vingtaine de pays, auxquelles s’ajoutent des séries plus modestes en taille. Son ambition: redonner vie à des espèces menacées d’extinction en recyclant ce qui les tue, à savoir le plastique. Ses œuvres forment un langage accessible à tous; leur composition se base sur des assemblages de détritus glanés dans les rues, les déchetteries ou sur les plages. Elles sont un moyen d’évoquer les problèmes mondiaux auxquels nous sommes confrontés: réchauffement climatique, extinction massive, déforestation, pénurie d’eau, pollution… En résumé, les trash animals de Bordalo nous rappellent d’un seul regard l’étendue de notre gaspillage et ses conséquences sur la biodiversité.
Le castor de Bernex est une belle exposition à ciel ouvert qui attire déjà des piétons curieux et des artistes en recherche d’inspiration. Alors si vous passez par la route de Chancy, tendez le cou, vous apercevrez le joli minois du Half baby beaver!

 

Véronique Stein