Un reportage à la fois poétique et informatif.

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lecture - En ce début de printemps

Explorer la face cachée de l’iceberg, bâtiment de glace éphémère

24 Avr 2024 | Articles de Une

Dans un exercice d’admiration sans précédent en Suisse et grâce à des images d’une stupéfiante beauté, accompagnées de textes d’une rare intelligence dans ce type d’ouvrage, Jean-François Delhom livre avec l’album «Glace – Dans le ventre des glaciers» (Editions Favre) un reportage à la fois poétique et informatif qui veut stimuler notre capacité d’admirer les glaciers alpins helvétiques, sortes de constructions vides constituées d’une matière éphémère: la glace. Entrons dans ce monde du bleu, du blanc, et du gris jusqu’à l’ivresse de la beauté provisoire des profondeurs.

L’objectif de Jean-François Delhom avec «Glace» n’est pas de diffuser un guide touristique, mais d’honorer les glaciers. Ne pas les «faire» comme d’aucuns «font» le Mont-Blanc pour l’inscrire à un futile palmarès ou pour célébrer un anniversaire rond et montrer ses dernières capacités malgré l’âge venu.
Le propos du Gruyérien Delhom n’est pas non plus de chanter un requiem pour les glaciers: «J’aurais pu donner ce titre à mon livre, un titre accrocheur aux yeux de ceux pour qui le drame fait vendre. Mais la fonte des glaciers n’est pas le thème de cet ouvrage, ni son prétexte, ni même son urgence, ou c’est seulement par la bande. Mon livre s’apparente avant tout à ce qu’en littérature on appelle un exercice d’admiration. Ce n’est pas un panégyrique, même si c’est déjà une archive, car la plupart des grottes que j’ai photographiées ont disparu ou se sont métamorphosées; c’est leur nature d’être éphémères. Si je vous dis «fleur», vous n’allez penser ni au bouton, ni à la plante fanée, mais à ce feu d’artifice qu’est l’éclosion de l’élégante. Bien sûr, il y aura encore des fleurs dans cinquante ans, alors que la majorité de nos glaciers auront disparu. On ne peut s’empêcher de se faire rattraper par la tristesse. Et par la colère quand on prend conscience que ce sont nos gaz à effets de serre qui sont les principaux responsables de cette disparition, quoi qu’en disent les climato-négationnistes. Colère et tristesse je ne vous congédie pas, vous êtes la sève de mes textes. Mais pour mes images, je choisis le parti pris des choses», écrit Jean-François Delhom dans un avant-propos éclairant sa démarche.

Un exercice réussi d’admiration

S’inspirant de Jacques Ellul pour considérer que l’attitude contemplative possède une dimension subversive à l’égard de notre société, Delhom refuse de «censurer la beauté comme tant de nos commissaires d’art contemporain le réclament au nom d’un désenchantement qu’ils semblent chérir comme une ultime lucidité». Et son livre est tout simplement beau. Non seulement dans des prises de vues époustouflantes des cavernes, moulins, grottes, syphons, séracs ou cavités des Alpes valaisannes et grisonnes, mais également dans des textes éclairants qui racontent ces glaciers dans les différentes expressions de leur découverte éphémère heureusement fixée sur la pellicule. Ainsi, un remarquable texte évoque les soliloques du glacier, où l’on découvrira que nous ne sommes pas dans le monde du silence, ainsi que l’exploration de huit formes de discours sur la montagne qui donnent à réfléchir. Le thème de la fonte des glaciers n’est pas absent de l’album, qui y consacre des pages vibrantes d’alerte.

Une formation de spéléologue

Né en 1962, Jean-François Delhom bénéficie d’une expérience à la fois sportive, intellectuelle et artistique. Après des études d’art et de philosophie, il découvre avec passion les activités de pleine nature et devient pour un temps formateur en spéléologie et en spéléo-secours, ainsi que moniteur de canyonisme. A partir de 2001, il se tourne vers la photographie de paysages, qui devient son activité principale. Il publie plusieurs albums sur les canyons et les cascades.
Dans ce très bel ouvrage qui fera date, Jean-François Delhom adopte la posture du contemplatif, souvent celle du solitaire qui va son chemin, sans mot d’ordre et ne laissant dans les glaciers traversés rien de plus que son odeur vite emportée par le vent de la beauté.

 

Laurent Passer

Glace – Dans le ventre des glaciers,
Jean-François Delhom, Editions Favre 2023.

www.photo-philo-delhom.com