Le partenariat public-privé aboutirait rapidement à la construction de logements et permettrait d’éviter les risques financiers pour la commune.

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DROIT PUBLIC - Droit de préemption en pays de Vaud

Les communes doublent les promoteurs, sans aucun scrupule

28 Fév 2024 | Articles de Une

La Loi vaudoise sur la préservation et la promotion du parc locatif (LPPPL ou L3PL), instaurée en janvier 2020, confère aux communes un droit de préemption légal, soit la priorité d’acquérir une parcelle construite ou non, lorsqu’elle est promise-vendue. Si le but de cette loi est louable – développer des logements abordables, en particulier dans les centres urbains -, ses mécanismes sont discutables. Pour Mathieu Maillard, directeur de la société de courtage Maillard Immobilier SA, dont le siège se trouve à Lausanne, la situation actuelle est inacceptable.

– Pourquoi les communes préemptent-elles?
– La principale motivation des communes est de répondre à un besoin de la population en créant des logements d’utilité publique (LUP). Concrètement, il s’agit de sortir certains logements du marché libre pour en faire des logements à loyer modéré.

– Quelles sont les conditions pour que les communes exercent ce droit d’achat préférentiel?
– Les communes peuvent préempter des biens pour autant que le taux de logements vacants, à l’échelle du district, soit inférieur à 1,5%, selon une liste publiée annuellement par le canton de Vaud. Comme je l’ai dit, la finalité de la préemption doit être la réalisation de LUP, à savoir des logements subventionnés, protégés, pour étudiants ou à loyer abordable. L’ensemble des conditions sont détaillées sur le site officiel de l’Etat de Vaud.

– Quelle est la part de parcelles touchées par la L3PL?
– Quasiment tous les districts sont considérés «à pénurie» et donc concernés par la loi. On estime qu’environ 70% à 80% des parcelles en vente sur le territoire vaudois sont sujettes au droit de préemption. Heureusement, les communes n’exercent pas systématiquement – et loin de là – ce droit. Elles le font surtout valoir pour des terrains stratégiques.

– Assiste-t-on à une augmentation des cas?
– Nous manquons encore de recul dans ce domaine. Lausanne a été pionnière en acquérant plusieurs immeubles; elle a été suivie par les communes environnantes. Il s’agissait principalement de parcelles bâties. A Morges, la Municipalité a exercé son droit de préemption pour la première fois cet été… et c’est notre bureau qui en a fait les frais!

– Lorsqu’elles font valoir leur droit de préemption sur des terrains nus, les communes ont-elles un projet de développement?
– Pas forcément, puisque nous constatons que certaines parcelles restent en attente. La réalisation de nouveaux bâtiments risque de prendre plus de temps que si des promoteurs privés s’en chargeaient. Par ailleurs, à Prilly comme à Lausanne, les Municipalités comptent octroyer un droit de superficie sur les biens préemptés à des coopératives d’habitation ou à des sociétés d’utilité publique. Un transfert de ce type représente un dévoiement de la loi et transforme la préemption en une opération financière au profit des communes (elles encaissent la redevance annuelle sans prendre de risque).

– A quelle étape de la vente la commune entre-t-elle en jeu? Quel problème cela pose-t-il?
– Pendant le délai entre la signature de l’acte notarié et le transfert de propriété, la commune a la possibilité de préempter selon les conditions négociées au préalable. Le vendeur s’y retrouve donc, mais il ne peut pas choisir l’acquéreur. Le problème concerne avant tout l’acheteur, puisqu’il sera empêché de réaliser son achat foncier. Pour un particulier, être évincé au dernier moment peut s’avérer dramatique, par exemple s’il comptait engager sa caisse de pension pour l’achat d’un immeuble.

– La commune doit-elle proposer le même prix que celui négocié avec l’acquéreur initial?
– Oui, le prix, tout comme l’ensemble des conditions fixées dans l’acte de vente, doivent rester identiques.

– Dans un cas où une société comme la vôtre se porte acquéreuse d’une parcelle pour y développer un projet immobilier, quelles seront les conséquences de la préemption?
– Comme dit précédemment, nous avons été confrontés à ce problème pour une parcelle au centre-ville de Morges où nous souhaitions réaliser, en partenariat avec l’un des voisins, un projet de 25 logements exemplaires en termes de durabilité; l’acte d’achat avait été signé. La commune a préempté: cela a été pour nous un manque à gagner important et surtout beaucoup de travail potentiel pour les prochaines années qui s’est envolé! En outre, les innombrables heures de travail investies en amont risquent de passer à la trappe, puisque la commune de Morges refuse pour l’instant de nous indemniser convenablement.
En effet, l’indemnité qui nous a été proposée ne couvre même pas les frais effectifs; on ne parle pas encore des heures de travail de nos propres architectes et surtout de l’immense travail de prospection et de marketing réalisé en amont pour que les propriétaires décident de vendre, respectivement de nous vendre. C’est toute la valeur des prestations effectuées par mes équipes que la commune estime ne pas devoir payer, alors que sans cela, la parcelle n’aurait peut-être pas été mise en vente. En se substituant à l’acheteur, la collectivité publique bénéficie d’un long travail préalable effectué par une entreprise privée. Cela prouve un manque total de reconnaissance à l’égard des développeurs-promoteurs.

– Comment avez-vous réagi?
– Une fois la décision communiquée, nous avons échangé avec la Municipalité de Morges pour voir si un partenariat pouvait être noué. Malheureusement, nous n’avons pas été écoutés.

– Que se passe-t-il si la transaction a été menée par un courtier?
– Il sera payé, son mandant étant en principe le vendeur. Mais ici non plus, le travail effectué par le courtier n’est pas valorisé. Dans certains cas, ce dernier avait négocié des honoraires réduits avec le vendeur en échange de la commercialisation des futurs lots de la promotion et investi du temps supplémentaire avec l’acheteur afin de faire toutes les analyses permettant à ce dernier de se lancer dans l’acquisition. Une démarche qui tombe à l’eau si la commune préempte.

– A votre avis, quelle est la solution pour sortir de ce cercle vicieux?
– Je crois beaucoup au partenariat public-privé et le domaine de l’immobilier en fait partie: il aboutirait rapidement à la construction de logements et permettrait d’éviter les risques financiers pour la commune, puisque c’est l’entreprise privée qui les endosserait. Par ailleurs, le concept de la juste indemnité devrait être revu pour prendre en compte tout le travail effectué en amont, ceci afin d’éviter que des professionnels n’investissent de leur temps dans le vide. En résumé, je ne remets pas en question la L3PL, mais il est absurde de penser que les collectivités publiques puissent se transformer en promoteurs immobiliers!

 

Propos recueillis par
Véronique Stein

Une analyse de Mathieu Maillard.