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finance immobilière - Impôt sur un revenu fictif

La valeur locative a de beaux jours devant elle

17 Jan 2024 | Articles de Une

L’abolition de la valeur locative, ce revenu théorique du propriétaire occupant son logement devenu objet de taxation, n’a aucune chance en votation populaire si l’on ne peut plus déduire les frais d’entretien.

Les biens immobiliers continueront de faire l’objet de nombreux impôts spécifiques.

Dans l’introduction de son Rapport annuel, écrite fin mars 2023, l’Association de Banques privées suisses (ABPS) prédisait l’abandon de l’Initiative parlementaire visant à abolir la valeur locative, déposée plus de six ans auparavant. Dix mois plus tard, force est de constater que ce sujet est toujours d’actualité, puisqu’il a été voté par le Conseil national en juin et que le Conseil des Etats s’est prononcé en décembre, en maintenant ses divergences avec la Chambre basse.
Notre appréciation est pourtant toujours la même: ce projet va échouer.
Mais commençons par le début. La valeur locative est ce revenu fictif imposé en Suisse auprès des propriétaires de biens immobiliers qui s’en conservent l’usage. En contrepartie, ils peuvent déduire les frais d’entretien de ces biens (au sens large) et d’éventuels intérêts hypothécaires. Ce système est jugé injuste par certains, mais plusieurs réformes ont déjà été rejetées en votation populaire.
Le système suisse incite aussi à rester endetté plutôt qu’à rembourser, si l’on estime que l’on peut placer son argent pour gagner plus que le coût de l’hypothèque, après impôts. Le Fonds Monétaire International et l’OCDE s’inquiètent d’ailleurs du niveau d’endettement des ménages privés en Suisse et encouragent notre pays à réformer son système. Le fait que le montant total des hypothèques en Suisse (bientôt 1200 milliards) dépasse de 150% le PIB suisse (bientôt 800 milliards) serait dangereux.

Les frais doivent rester
déductibles!

Il nous semble toutefois plus juste de comparer ces hypothèques à la fortune des citoyens suisses. Selon les statistiques 2020 de l’Administration fédérale des contributions, la fortune imposée atteignait 2264 milliards. Elle a sans doute grimpé maintenant à au moins 2400 milliards, soit le double des hypothèques. En outre, il s’agit de la fortune nette, donc après dettes et déductions sociales, et la valeur fiscale des immeubles privés est souvent inférieure à leur valeur vénale. Enfin, les fonds de la prévoyance professionnelle (d’un montant total proche de celui des hypothèques) ne sont pas inclus dans la fortune imposée. Les hypothèques ne représentent donc pas plus du quart de la fortune des personnes physiques résidant en Suisse. C’est bien sûr une vision globale, mais elle permet de relativiser les risques du système actuel. D’autant que les banques restent très prudentes dans leurs estimations des biens immobiliers et exigent que les emprunteurs soient en mesure de payer des intérêts à un taux de 5%, même si le taux facturé est bien plus bas.

Deux visions

Revenons-en au Parlement fédéral. En juin 2023, le Conseil national s’est prononcé en faveur de la suppression de la valeur locative, y compris pour les résidences secondaires – les impôts fonciers sur celles-ci pourraient être plus élevés pour compenser. En contrepartie, les frais d’entretien ne seraient plus déductibles et les intérêts passifs plus qu’à hauteur de 40% du rendement imposable de la fortune. A l’inverse, le Conseil des Etats ne souhaite abolir la valeur locative que pour les résidences principales et voudrait permettre la déduction des intérêts passifs à concurrence de 70% du rendement imposable de la fortune.
On notera en passant que le pourcentage de 40% ou 70% n’est pas vraiment relevant. Ce qui l’est, c’est la composition du «rendement imposable de la fortune», qui ne contiendra plus la valeur locative (abolie), ni surtout la majoration actuelle de 50  000 francs, que personne ne songe à préserver. Si les seuls revenus de la fortune des propriétaires ne sont que quelques intérêts et dividendes, 40% comme 70% de ceux-ci ne suffiront plus à déduire des dizaines de milliers de francs d’intérêts hypothécaires.
Mais la raison pour laquelle cette énième réforme semble vouée à l’échec, c’est la suppression de la déduction des frais d’entretien (y compris frais d’administration et primes d’assurance), que personne au Parlement ne conteste. Cela est pourtant contraire au principe que les dépenses nécessaires au maintien de la fortune sont déductibles. En outre, cela n’encouragera pas les propriétaires à rénover leurs biens et l’état de nombreux logements se dégradera. Enfin, les entreprises et artisans qui effectuaient ces travaux d’entretien se mobiliseront contre un tel changement – ou seront incités à effectuer ces travaux au noir, ce qui n’est pas souhaitable.
Les biens immobiliers continueront de faire l’objet de nombreux impôts spécifiques: impôt foncier sur leur détention, droits de mutation sur leur transfert, impôt sur le gain en capital privé qui serait autrement exonéré. Pour leur maintien en bon état et surtout pour encourager la transition énergétique, il est nécessaire que les frais y afférant restent déductibles. Une solution du Parlement qui ne le prévoirait pas sera balayée dans les urnes.

 

Jan Langlo
Secrétaire général
Association de Banques Privées Suisses
©Allnews.ch

Jan Langlo.