Le locataire a le droit de sous-louer son logement, mais doit obtenir préalablement le consentement de son bailleur.

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LA CHRONIQUE JURIDIQUE de Me Patrick Blaser - Jurisprudence du Tribunal fédéral

Haro sur les sous-locations illicites!

20 Déc 2023 | Articles de Une

Dans un arrêt récent, le Tribunal fédéral a confirmé que le bailleur pouvait valablement résilier de façon anticipée le bail d’un locataire lorsqu’il s’avérait que ce dernier entendait sous-louer son logement de faveur définitive, c’est-à-dire sans avoir l’intention de le réintégrer dans un avenir proche.

Cet arrêt du 10 octobre 2023 (4A_143/2023) ne laisse désormais plus aucune ambiguïté quant à la détermination du Tribunal fédéral de n’autoriser les sous-locations que lorsque celles-ci sont limitées dans le temps et que le locataire a l’intention de réoccuper son logement dans un avenir prévisible.
A défaut, la sous-location est illicite et le bailleur est en droit de résilier le bail de son locataire.

Que dit la loi?

La loi prévoit expressément (art. 262 CO) que ce locataire a le droit de sous-louer tout ou partie de son logement (appartement ou villa). Il doit cependant obtenir préalablement le consentement de son bailleur.
Le bailleur ne peut refuser son consentement que dans les cas suivants:
1. Le locataire refuse de communiquer à son bailleur les conditions de la sous-location.
2. Les conditions de la sous-location sont abusives en comparaison des conditions du contrat de bail principal.
3. La sous-location présente pour le bailleur des inconvénients majeurs.
Si le locataire sous-loue son logement en l’absence de consentement de son bailleur, celui-ci doit préalablement adresser à son locataire une protestation écrite.
Si cette protestation écrite n’est suivie d’aucun effet, le locataire n’ayant pas mis fin à la sous-location, le bailleur peut résilier le bail moyennant un délai de congé minimum de 30 jours, pour la fin d’un mois.

Et que dit la jurisprudence?

Comme il s’avère que les sous-locations sont relativement fréquentes, les litiges liés à ces sous-locations le sont également. Et ces litiges sont à l’origine d’une importante jurisprudence, qui a imposé un certain nombre de règles aujourd’hui solidement ancrées.

• Consentement du bailleur
En premier lieu, la jurisprudence considère que le seul fait pour un locataire de ne pas avoir requis, préalablement à la sous-location, le consentement de son bailleur, n’autorise toutefois pas ce dernier à notifier à son locataire une résiliation de son bail. Dans ce cas, le bailleur est tenu d’adresser au locataire un avertissement préalable écrit. Par cet avertissement, le bailleur doit inviter le locataire à mettre un terme à la sous-location.
Dans ce cadre, la jurisprudence prévoit toutefois que le locataire peut encore à cette occasion requérir le consentement du bailleur.
Ce n’est que si le locataire ne met pas fin à la sous-location, à laquelle le bailleur n’a finalement pas consenti, que le bailleur peut, dans un second temps, résilier le bail de façon anticipée.

• Sous-location limitée dans le temps
S’agissant de la nature et de la portée de la sous-location, la jurisprudence a posé un cadre assez strict. Il n’est en effet pas question d’autoriser des sous-locations de longue durée. Au contraire, la jurisprudence spécifie bien que la sous-location doit être limitée dans le temps.
En effet, la sous-location n’est acceptable que lorsqu’un locataire n’est plus en mesure d’occuper personnellement son logement pendant une durée limitée. C’est le cas lorsque le locataire doit quitter provisoirement son logement et se trouve contraint de devoir se loger ailleurs, pour des raisons professionnelles ou privées.
En substance, le droit à la sous-location n’existe par conséquent que lorsque le locataire a l’intention de retourner dans son logement dans un avenir prévisible (par exemple retour prévu après un déplacement à l’étranger).

• Abus de droit
Dans ce cadre, commet un abus de droit le locataire qui sous-loue sans avoir l’intention de réintégrer le logement sous-loué. Dans ce cas, le locataire a procédé à une substitution de locataire qui est constitutive d’abus de droit et prohibée.
Selon le Tribunal fédéral, le Juge doit se montrer relativement strict dans l’examen de l’intention du locataire de réintégrer les locaux loués. Cette intention doit résulter d’un besoin légitime et clairement perceptible. La vague possibilité de réintégrer le logement ne suffit pas à justifier une sous-location.

Cas concrets

En matière de sous-location, le Tribunal fédéral a rendu différents arrêts, fondés sur des cas bien spécifiques.
Le Tribunal fédéral a, en particulier, annulé la résiliation d’un bail par le bailleur au motif que le locataire avait dans les faits transféré son bail à sa fille. Les juges ont justifié leur décision par le fait que le bailleur n’avait pas prouvé que le locataire n’occupait plus du tout le logement.
Dans un autre cas, le Tribunal fédéral a validé le congé donné à un locataire qui, après que le bailleur lui eut refusé un transfert de bail en faveur d’un proche, a prétendu qu’il avait finalement sous-loué une partie de son appartement à ce proche et conservé une pièce pour son usage sporadique. Le Tribunal fédéral n’a pas été dupe du montage purement juridique élaboré par le locataire, surtout que dans le cas d’espèce, ce dernier avait formellement déménagé dans un autre canton.
Même résultat pour un locataire qui s’était établi à l’étranger pour y passer sa retraite et avait sous-loué son appartement, dont le loyer était avantageux, tout en conservant la possibilité de l’utiliser quelques semaines par année, voire de le réintégrer plus tard, en fonction des aléas de sa retraite.
Dans ce cas, le Tribunal fédéral a jugé que le locataire entendait abuser de son droit à la sous-location pour conserver la mainmise sur un appartement, au loyer manifestement avantageux, en prévision d’un retour en Suisse des plus aléatoires.
En revanche, dans une autre affaire, le Tribunal fédéral a nié tout abus de droit du locataire à la sous-location, concernant le cas d’un père qui accueillait durablement dans son appartement sa fille et sa famille, tout en continuant à l’occuper lui-même en partie et à payer sa part de loyer. Dans ce cas, le Tribunal fédéral a déterminé qu’il ne s’agissait pas d’une substitution de locataire.
Enfin, dans le cas d’espèce de son arrêt du 10 octobre 2023, le Tribunal fédéral a confirmé la validité de la résiliation d’un bail notifiée à un locataire qui avait sous-loué son appartement à un tiers, sans même demander le consentement du bailleur, et qui habitait formellement dans un autre appartement. Dans ce cas, le Tribunal fédéral a également admis que le locataire n’avait aucune intention de réintégrer son appartement et qu’il avait procédé en réalité à une substitution de locataire par la voie détournée de la sous-location, ce qui n’était pas admissible.

Résiliation du bail du locataire

Lorsque les conditions de la sous-location ne sont pas réalisées et que le locataire n’a pas réintégré son logement, le bailleur peut résilier le bail du locataire:
• soit pour une échéance anticipée (résiliation extraordinaire);
• soit pour l’échéance contractuelle (résiliation ordinaire).
Le bailleur peut également décider d’adresser au locataire les deux résiliations extraordinaires et ordinaires en même temps, la seconde étant subsidiaire à la première.
Dans son arrêt du 10 octobre 2023, le Tribunal fédéral a en effet expressément confirmé la possibilité pour le bailleur de doubler une résiliation extraordinaire d’une résiliation ordinaire de nature subsidiaire.

 

Patrick Blaser
Avocat associé, Etude Borel & Barbey, Genève
patrick.blaser@borel-barbey.ch

Patrick Blaser.