Immeubles transformables en logement: exemples parisiens. Dans l’ordre: Siège de l’APHP, Garage Citroën, Garage Renault, Tati Barbès, Centre Aboukir, Site universitaire.

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MARCHéS IMMOBILIERS - Des idées françaises contre la crise

Du bureau au logement: comment faciliter la transformation?

10 Jan 2024 | Articles de Une

Malgré ses avantages, la reconversion de bureaux en logements reste marginale, aussi bien en Suisse qu’en France. Pour faciliter ce type d’opérations, le député démocrate français de l’Ain Romain Daubié a récemment édité une proposition de loi qui sera examinée à l’Assemblée nationale le 31 janvier prochain. Ce texte identifie certains freins législatifs, notamment en ce qui concerne les prises de décision au sein des copropriétés, les modifications des sous-destinations du Plan local d’urbanisme ou encore la nature du permis de construire délivré.

Les chiffres de la construction révèlent une importante baisse de la production de logement et augurent des pénuries en la matière: selon les services des statistiques français, d’octobre 2022 à septembre 2023, 371 300 logements ont été autorisés à la construction, soit 146 700 de moins que lors des douze mois précédents. En parallèle, le taux d’effort immobilier des ménages – soit le rapport entre la somme des dépenses liées à l’habitation principale et les revenus – ne cesse d’augmenter, le phénomène de la cherté du logement s’étendant de Paris aux villes de province. Selon un projet de loi édité par Romain Daubié le 15 décembre 2023, qui est le fruit d’un travail collaboratif entre divers groupes parlementaires, «les opérations de transformation de bureaux en logements présentent de nombreux avantages: elles permettent de lutter contre la vacance des locaux, de favoriser la création de logement tout en respectant des objectifs de transition énergétique et en répondant aux objectifs de mixité sociale voulus par le Code de l’urbanisme».

Lorsqu’un problème devient une solution

Le développement du télétravail et des bureaux flexibles depuis la crise de la Covid ouvre des perspectives pour la création d’habitations supplémentaires. Cependant, entre 2015 et 2019, seul 0,99% de la superficie des nouveaux logements provenait d’anciens locaux à usage commercial. Alors que le télétravail hebdomadaire ne concernait que 3% des salariés en 2019, la pandémie a fait bondir ce chiffre à 15% (étude de la Banque de France, février 2023). Depuis deux ans, le taux d’occupation des bureaux a ainsi diminué de 5,4%, provoquant un ralentissement de la demande dans ce secteur.
Saisir cette opportunité de l’augmentation de la vacance des bureaux pour les transformer en logements constitue une piste intéressante pour répondre aux enjeux actuels. Il s’agit aussi d’une bonne occasion pour atteindre les objectifs posés par la loi française dite «Climat et résilience» de neutralisation de l’artificialisation des sols à l’horizon 2050 et de réduction de moitié de la consommation foncière à moyen terme, en substituant des opérations de transformation aux opérations de construction, beaucoup plus énergivores.

Faciliter la modification du Plan local d’urbanisme

Les limites posées par le Plan local d’urbanisme (PLU) peuvent constituer une première difficulté. Comme l’explique le député de l’Ain, «afin de faciliter la création de logements en zone dite ‘tendue’, par le biais de la transformation de bureaux en logements, il faut permettre à l’autorité compétente pour délivrer le permis de
construire – généralement le maire – de déroger aux règles du Plan local d’urbanisme. Avec la nouvelle loi, cette autorité pourrait agréer la transformation de bureaux en logement ou hébergement dans les zones où la destination ‘habitation’ n’est en principe pas permise». Cette dérogation devrait toutefois prendre en compte certains critères tels que la desserte en transports publics, l’exposition à d’éventuels risques et nuisances, ainsi que les objectifs de mixité sociale et fonctionnelle.

Permettre l’assujettissement
des opérations à la
taxe d’aménagement

La transformation de bureaux en logements, dès lors qu’elle serait facilitée par le Plan local d’urbanisme, peut avoir une incidence en matière de taxe d’aménagement pour les communes. «La transformation de locaux commerciaux en locaux à usage d’habitation implique un changement de destination qui n’entre dans le champ d’application de la taxe d’aménagement qu’à la condition d’aboutir à une augmentation de la surface», explique Romain Daubié. Le projet de loi vise à laisser la possibilité aux maires des communes – dans lesquelles des opérations de transformation de bureaux en logements ont lieu – d’assujettir ces opérations à la taxe d’aménagement, afin de prévenir tout préjudice induit sur les frais d’investissement dans des équipements collectifs.

Près de la gare de Bordeaux, sur les terrains d’Euratlantique, l’architecte Patrick Rubin prévoit de construire avec Elithis un démonstrateur d’immeuble «réversible» sur une surface de 5000 m² (bureaux, logements, activités, etc.).

Créer un permis de construire à destinations successives

Les développeurs immobiliers ont la capacité de construire des ouvrages dit réversibles, c’est-à-dire dont la transformation d’un bureau vers un logement, ou inversement, est anticipée dès la conception. Un bâtiment réalisé de cette manière pourra surmonter facilement l’obsolescence de son premier usage et le risque de vacance qui l’accompagne.
Pour favoriser l’adaptabilité des projets, la nouvelle loi propose de créer un permis de construire à destinations successives, inspiré par la loi sur les Jeux Olympiques de Paris de 2024, qui permettra la reconversion des chambres des athlètes en appartements. Cet outil fera l’économie à l’autorité compétente d’une nouvelle instruction pour accorder le changement de destination de la construction.

Faciliter la création de logements estudiantins

Des annonces récentes du gouvernement français ont promis la création de 35 000 logements à destination des étudiants; en ce sens, la configuration des immeubles tertiaires se prête particulièrement bien à la transformation en résidences estudiantines. Le texte de loi édité par Romain Daubié vise à permettre aux Centres régionaux des œuvres universitaires et scolaires (Crous) de recourir sans condition à la conception-réalisation de logement pour étudiants, comme cela est déjà le cas pour les organismes d’habitation à loyer modéré (HLM).

Limiter les oppositions à
un changement d’usage dans
les copropriétés

Au-delà de la création de mesures facilitatrices, il faut également agir sur le droit existant pouvant engendrer des blocages. C’est le cas notamment au sein des copropriétés. Dans l’état actuel du droit français, il suffit qu’un seul copropriétaire s’oppose au changement d’usage d’un lot pour que la démarche de modification soit bloquée. Avec la nouvelle loi, un copropriétaire pourrait changer l’usage de ses parties privatives d’un usage tertiaire vers un usage d’habitation, sans que l’assemblée générale des copropriétaires ne puisse s’y opposer.
Les pistes énoncées dans ce projet de loi – qui a de bonnes chances d’être adopté – présentent des solutions étudiées avec rigueur. Elles mettent le doigt sur la nécessaire souplesse à instaurer au niveau des règlements et des processus d’autorisation. Les reconversions du tertiaire à l’habitat représentent un marché de niche qui se concentre en Ile-de-France, où près de 4,5 millions de m² de bureaux, obsolètes ou récemment livrés, sont actuellement disponibles. Ce type d’opération doit toutefois faire l’objet d’une analyse scrupuleuse, prenant en compte divers paramètres comme la situation et l’environnement (nuisances, accessibilité, équipements publics, etc.), les coûts, la technique, la structure et l’enveloppe du bâtiment, ou encore le rendement. Cela pour que le projet de réaffectation – à prime abord vertueux puisqu’il utilise l’existant comme ressource – ait toutes les chances d’aboutir!

 

Véronique Stein

Romain Daubié.

GROS PLAN

En Suisse, une proportion de réaffectation modeste malgré le potentiel existant

 

Sur territoire helvétique, Berne et Zurich font partie des pionniers en matière de reconversion de bureaux en logements. Dans l’ensemble, les réaffectations sont encore assez rares en Suisse. Cette situation s’explique moins par les obstacles structurels que par la rentabilité souvent insuffisante lors de changements d’affectation.
Cependant, les choses sont en train d’évoluer, du fait de la forte hausse des prix des matières premières et des matériaux de construction. La prise en compte des facteurs de durabilité joue également un rôle croissant, avec un intérêt marqué pour l’assainissement de biens existants par rapport à leur démolition et à la construction de nouveaux immeubles.

GROS PLAN

Transformer 800 000 m² de locaux à Paris

 

Après «Réinventer Paris 1» en 2014 et «Réinventer Paris 2 – Les dessous de Paris» en 2017, la troisième édition d’Appels à Projets Urbains Innovants (APUI) «Réinventer Paris», lancée en février 2021, est consacrée à la transformation de locaux vacants en logements. Six sites ont d’ores et déjà été désignés (voir page 21). D’autres devraient prochainement compléter la liste, l’ambition étant d’atteindre à terme 700 000 m2 à 800 000 m² de locaux transformés.
La Ville entend ainsi faciliter la réhabilitation de lieux, pour certains chargés d’histoire, tout en favorisant une programmation mixte comprenant une part importante de logements sociaux. L’APUI permettra également d’accompagner Paris dans la révision de son PLU, qui deviendra «bioclimatique» et dont la mise en œuvre est attendue pour le début de cette année.