«Que faire?»: une question à laquelle Tchernychevski et Oulianov n’ont répondu que pour un temps.

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hors champ

«Que faire»… des pauvres?

11 Oct 2023 | Culture, histoire, philosophie

 Que faire quand on n’a nul moyen d’agir? Cette étrange question, c’est celle que se posent sans doute les hauts dignitaires et les simples prolétaires des pays les plus démunis. Et elle vient à nous, quand la Genève Internationale aussi – face aux «urgences oubliées» – se demande «Que faire?» (pressclub.ch/les-situations-durgence-oubliees-que-faire/).

dans «Hors Champ», on a parfois des propos acides envers les «humanitaires» qui – c’est du moins une crainte fondée – roulent pour soi dans l’habit du Bon Samaritain. Il y a un ou deux ans au Club de la presse, une prise de bec avait même défrayé la «chatbox» à propos du sauvetage des migrants naufragés. Et le livre «Lords of Poverty» de Graham Hancock est oublié, bien que plus actuel que jamais. Encore faut-il avoir une alternative à l’angélisme et à l’inaction tout à la fois. Et ce n’est pas une mince affaire (voir aussi icrc.org/en/event/people-centric-humanitarian-response et humanitarianstudies.ch/assises-de-lhumanitaire/).

La quête de l’Eldorado

Dans le passé, quand un sol était ingrat, les peuples avaient trois «options»: mourir, migrer, irriguer. Oh! c’est sans doute une version simple de l’histoire, mais de la préhistoire aux temps modernes, migrer fut une nécessité qui fit bien des victimes: chez les migrants faméliques comme chez les voisins envahis. Les Helvètes en savent quelque chose, suite au piège que César tendit à Divico. L’Espagne, l’Irlande, l’Italie… se sont ainsi vidées de leur surplus de peuple. Les archéologues retrouvent tous les jours des reliques de massacres d’autochtones; des peuplades plus tardives rendaient un culte aux ethnies qu’elles venaient d’éliminer; et les montagnards ou banquisards sont souvent des rescapés d’invasions. Si les nouveaux venus étaient juste des pillards, comme les Mongols en Asie Centrale, la région pouvait renouer avec l’abondance mille ans après, sans maintes bouches à nourrir.
De nos jours, toutefois, migrer est une option… limitée: par les frontières, par l’assistance, et surtout par le conflit entre les «droits» des migrants et ceux des peuples d’accueil. Mourir ne l’est pas davantage, et personne n’ose dire «qu’ils/elles crèvent, ce n’est pas mon problème». Reste donc la troisième option: faire de la pauvreté une richesse, comme dirait – certes dans un autre sens – un auteur lui aussi oublié (letemps.ch/opinions/pauvrete-richesse-peuples). Ce qui ne veut pas dire mendier l’assistance internationale pour l’éternité.

David plus riche que Goliath?

Aux temps modernes, la Suisse elle-même clame en mots simples ce que cette tierce option veut dire: «Pas de matières premières, hormis la matière grise». Singapour aussi craignait le pire après le départ de la flotte britannique et a fait de sa précarité une abondance… comme la Corée et même le Japon au sortir des ruines. Même le Bangladesh, lassé des quolibets sur le «trou sans fond de l’aide», est devenu un petit dragon. Le Liban serait dans la même ligue, si ses équilibres des pouvoirs n’avaient pas fini par devenir des conflits de pouvoir. Le Sri Lanka – le plus prospère des trois Etats issus de Indes britanniques – n’a même pas, lui, cet alibi. Et les Pays baltes – eux aussi bien placés sur la mer – ont gagné leur pari d’«Alleingang».
Dans l’Antiquité, à en croire Thucydide, Athènes fut d’abord un refuge démuni avant de se muer en chef des mers. Les cités libres, comme Genève et la Hanse, ont fleuri un peu de même, avec un zeste d’égoïsme: les petits pays le sont, en général, parce que nul ne veut d’eux au début et que tout le monde les envie à la fin. Mais cette réussite par l’ingéniosité peut-elle toujours marcher, quand on n’a pas de pétrole comme les Emirats du Golfe?
Faisons un rapide tour du monde des «laissés-pour-compte», souvent encore plus mal lotis depuis qu’ils sont «libres»: la plupart des pays d’Amérique Latine ne manquent pas de ressources, hormis un ou deux trop montagneux. Quoique les Incas en aient aussi fait un atout, et que le Guatemala ait des volcans tapissés de jaune maïs et rouge tomate. La plaie de l’Amérique Latine est-elle d’avoir eu trop de «libérateurs» et de «littérateurs», comme Tintin l’insinue? L’explication des «apprentis-sorciers» est un peu courte, mais le continent est bien – avec l’Afrique – le cimetière de toutes les théories sociales faillies. Car en Afrique aussi, les pays le plus en crise ne sont pas tous les plus «pauvres»; or seul le Rouanda – malgré ses non-dits ethniques – a su jouer la carte de «Suisse des Grands Lacs».

La Pierre Noire est-elle philosophale?

Reste le Maghreb et le Proche-Orient: les pays sans pétrole y ont misé sur le tourisme, alors où est le blocage: dans un passé trop solide pour que l’avenir puisse prendre sa place? Ce n’est en tout cas pas là qu’on pourra invoquer la «malédiction des matières premières». En concluant ce texte, on n’a pas fait un pas en avant vers une «politique de développement» pour les pays sinistrés. Ce qui explique sans doute pourquoi «Que faire?» face à la misère fut plus d’une fois le titre de livre phare des amis du peuple.

 

Boris Engelson