La guerre n’a cessé de hanter Boris Cyrulnik.

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culture & nature - Boris Cyrulnik en visite

L’éternel retour de la guerre

1 Nov 2023 | Culture, histoire, philosophie

Ses parents juifs ont disparu dans les camps nazis et il a échappé par miracle à une rafle à Bordeaux, le 10 janvier 1944, à l’âge de 6 ans. Neuropsychiatre et auteur d’une trentaine d’ouvrages, Boris Cyrulnik a retrouvé, à 86 ans, cette effroyable compagne – la violence, la guerre – qui n’a cessé de le hanter et lui a inspiré ses travaux sur la résilience. Il donnera une conférence publique à Genève, le jeudi 9 novembre, à 19h30, à Uni-Mail.

La conférence est publique et gratuite, mais il est obligatoire de s’inscrire à l’avance – communicationd5@ville-ge.ch – et il vaut mieux le faire rapidement car le nombre de places est limité et il y aura beaucoup de monde. Dans le cadre de la deuxième édition d’«Une ville en transitions», la Ville de Genève a invité Boris Cyrulnik à s’exprimer sur un thème très large et ô combien actuel: «Résilience, protection et vulnérabilité. Reconstruction individuelle et espoir collectif».
Une vie dans le siècle, comme l’on dit, même si elle est à cheval sur deux siècles; une vie qui en épouse les passions et les tragédies, mais aussi les espoirs et peut-être les illusions, à commencer par l’idée que la guerre ait disparu une bonne fois pour toutes, du moins dans les pays européens, et qu’on ne reverrait plus jamais son visage hideux et démoniaque. C’est la vie de Boris Cyrulnik qui a connu tous les aléas de ce court – comme disait l’historien Hobsbawm – , mais surtout cruel XXe siècle qui semble rebondir en ce début de XXIe de manière tout aussi monstrueuse en Ukraine, à Gaza et peut-être au-delà.
Enfant, il avait échappé par miracle, ou plutôt par instinct de vie, à une rafle de la police de Vichy à Bordeaux, avant d’être recueilli par une famille voisine. Ses parents juifs disparus dans les camps, il est devenu psychiatre après la guerre, devenant quelque part son premier objet de recherche sur ces thèmes de toujours: pourquoi la guerre et la souffrance? Comment survivre et se reconstruire?

Bagarres animales et guerres humaines

Pour analyser les origines de la violence, Boris Cyrulnik laisse parler son identité de «psychiatre qui s’intéresse à l’éthologie animale». Dans son dernier livre qui vient de paraître, «Quarante voleurs en carence affective» (Editions Odile Jacob), il aborde un univers neuf et original, les liens entre les bagarres animales et les guerres humaines. Une idée née dans son enfance.
«Après la guerre, explique Boris Cyrulnik, n’ayant pas retrouvé ma famille, j’ai été placé dans une institution glacée, dans le Vercors. Dans les années d’après-guerre, un dogme circulait dans la culture: un enfant doit apprendre à obéir. Dans ce désert affectif, la plupart des enfants s’éteignaient, quelques-uns affrontaient et devenaient de petites brutes, j’ai fait partie de ceux qui ont réussi à s’évader en découvrant les mondes animaux. A peine éveillé, je fonçais vers un rocher où j’avais découvert les mouvements de troupes des bataillons de fourmis, celles qui transportaient les œufs, les escadrilles de fourmis volantes qui décollaient d’une plate-forme et les routes où elles transportaient les réserves de nourriture. (…) Puis je m’échappais pour aller parler au chien du voisin. Il m’accueillait avec joie et s’immobilisait attentivement quand je lui racontais mes malheurs».

La créativité ou le délire

Les animaux se bagarrent, reprend Boris Cyrulnik, mais les hommes se font la guerre, car la pensée abstraite qui les caractérise les rend «capables de créativité autant que de délire». «La guerre est à l’origine de pratiquement toutes les civilisations, alors que la bagarre témoigne plutôt d’une impulsion mal maîtrisée par l’éducation et la culture. L’entreprise guerrière est déclenchée par une représentation abstraite, pour sauver l’honneur d’un Dieu blasphémé, pour défendre une identité compromise ou pour s’emparer du pétrole du voisin».
Dotés pour le meilleur et pour le pire de la pensée abstraite, les hommes ont au moins un avantage sur les animaux: ils ont le langage, les mots, la capacité d’élaborer un récit. Boris Cyrulnik ne cesse de dénoncer ce qu’il appelle «la pensée paresseuse», c’est-à-dire la récitation répétitive, bornée, étriquée, d’une espèce de doxa.
C’est la logique des «éléments de langage» qui sont autant d’incitations, voire d’obligations, à ne pas penser et à entonner le discours ambiant. La pauvreté des mots interdit la compréhension, conclut Boris Cyrulnik, alors qu’il faudrait au contraire se décentrer intellectuellement et mentalement pour faire l’effort de comprendre les autres.

 

Robert Habel

Boris Cyrulnik.

Conférence de Boris Cyrulnik
Jeudi 9 novembre à 19h30,
Suivie d’une séance de dédicaces,
Uni-Mail,
40, bd du Pont-d’Arve,
1205 Genève