Un seul être vous manque, et tout est dépeuplé (citation de Lamartine qui pourrait être la devise des Pays-Bas).

/

hors champ

Les frontières poreuses aident-elles les migrants?

18 Oct 2023 | Culture, histoire, philosophie

Les «migrations», le «genre» et le «climat»: depuis une génération, c’est le triangle des bonnes causes. Si l’égalité des sexes et la lutte contre le carbone sont l’objet d’un consensus, l’opposition entre gauche et droite s’est reconstruite autour des migrants. Mais sait-on toujours où passe la frontière entre l’éthique et l’intox, surtout quand on use de la rhétorique de l’«intersectionnalité» (des victimes à la fois du carbone et du racisme, voire du machisme)? Exemple récent à propos du forum de l’Organisation internationale pour les migrations, qui vient de se tenir à Genève.

Le climat était l’angle choisi pour donner aux migrants du relief, à défaut de couleurs: désormais, on tente de couper court au débat pour ou contre les frontières ouvertes en invoquant le climat: «Les migrants n’ont pas le choix… ils fuient la mort par le climat… parfois, leur pays sombrent sous la mer… vite, les femmes et les enfants d’abord sans omettre les hommes». C’est possible, mais en matière de futurs engloutis, la liste des pays de bas en haut – c’est le cas de le dire – n’est pas celle qu’on croit.

Les armaillis sont bien lotis

On ne sera pas surpris de trouver au haut de la liste des pays de l’Himalaya, avec une altitude moyenne de trois mille mètres au bas mot. Mais autant tout de suite mettre en garde contre les chiffres choc: certes, le Népal, le Bhoutan, le Tadjikistan ou le Kyrgizizstan risquent peu de sombrer dans les fonds marins, mais cela ne met pas les côtes de l’océan Indien ou de la mer de Chine à l’abri du danger. Même si, dans un film américain, un président noir passe un accord avec la Chine rouge pour mettre les humains à l’abri des hauts et des bas du bleu Pacifique: des bateaux géants se posant au Tibet comme l’Arche sur l’Ararat. La remarque des contrastes entre les plateaux et le littoral vaut tout autant pour la région des Andes ou pour le Yémen. A l’inverse, que la Caspienne soit sous le niveau de la mer ne veut pas dire que Moscou, Minsk ou Téhéran doivent être évacuées d’urgence. Dans l’autre sens, si l’altitude d’Andorre la met au sec, cela ne protège pas ses deux… «protecteurs»: la France et l’Espagne. Les pays des Grands Lacs, eux, sont plus souvent noyés sous l’eau douce venue d’en-haut ou d’en-bas que par l’Atlantique.

Sandwich à l’Edam: bons pour la santé

A l’autre bout, la liste des pays de basse hauteur laisse bouche bée: outre des atolls du Pacifique, on trouve les Pays-Bas et les Pays baltes, Chypre et Singapour, le Danemark et le Quatar… et hélas le Bangladesh surpeuplé. Bref, une série de pays riches qui n’appellent pas à l’aide, et des îles comme les Kiribati, les Maldives, les Marshall et Tuvalu dont la population cumulée est en gros celle du Grand Genève. Le Bangladesh, lui, est un gros morceau; ce sont bien les terres fertiles qui ont attiré les paysans au Bengale Doré devenu leur piège, et les pays voisins ont parfois usé de l’«arme alimentaire» (ou désaltérante) contre cet Etat précaire. A noter que l’Europe n’est pas submergée de réfugiés du Bengale, ce qui jette un doute sur les analyses courantes des mouvements migratoires. D’ailleurs, si les humains ne peuvent plus vivre aux Tropiques, l’Antarctique et le Groenland garderont un climat plaisant et ont de hauts plateaux. Mais les paysans du Bengale sont peu familiers des champs étagés. Surtout, ce sujet vaudrait un texte en soi; on y reviendra.

Les drames ont leur poésie

Bref, la «comm’» des agences qui vivent des réfugiés fait feu de tout bois, ce qui ne veut pas dire que ces agences soient inutiles ou fassent du mauvais boulot. Mais le discours sur «les humanitaires solidaires» et «les populistes égoïstes» n’ont de valeur que par la rime. On peut aussi se demander pourquoi une agence comme celle «pour les migrations» croît à un rythme d’enfer à côté du Haut-Commissariat (…) aux réfugiés: les «Migration Talks» lancés à la Maison de la Paix ces jours et le «Global Refugee Forum» qui se tiendra à la fin de l’année au Palais des Nations donneront peut-être des réponses. A l’origine, l’Organisation internationale pour les migrations était une machine américaine pour gérer les mouvements de population au sortir de la Guerre. Pas pour faire la promotion de «l’Africaine lesbienne sans papiers», pour citer l’ironique remarque sur les éditeurs parisiens entendue à un récent Salon du livre.

Sous le pavé, la plage

«Ne pas oublier que l’ONU fait aussi des choses bien»: les gens de qualité à la tête des Nations Unies trouvent parfois les médias ingrats. Et – on l’a dit plus d’une fois ici – les hommes et femmes du système valent souvent bien mieux que la logique – à bout de souffle – dudit système. Retour à l’Organisation (…) pour les migrations: les Etats-Unis semblent avoir mal vécu le mandat du Portugais socialiste António Vitorino. L’Américaine qui a repris le flambeau – une de ses adjointes – maîtrise bien le sujet. Mais l’Américain qui était là avant Vitorino «ne savait rien des migrations – hormis celles des oiseaux – en arrivant» dix ans plus tôt. Il l’a confié à son départ lors d’une causerie avec les médias… qui ont alors découvert un libre penseur sous couvert d’un sage commis. Bref, William Lacy Swing et António Vitorino sont ou furent des gens de qualité… sans pouvoir le montrer; la nouvelle Amy Pope – qui sort un peu plus les griffes – tout autant. Mais – ce texte le montre – «la ligne» prime tout; et quand on a deux cents Etats membres comme les Nations Unies, deux cents lignes ne laissent plus faire grand-chose.

 

Boris Engelson