Pour la femme ou contre le crime?

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hors champ

Le crime, fruit de l’amour

4 Oct 2023 | Culture, histoire, philosophie

Les sources de données en matière policière sont-elles aussi lacunaires de nos jours que du temps de Tintin, qui devait combler les cases vides des deux Dupondt? Pas facile de saisir le rôle d’Interpol (interpol.int), de l’Office des Nations Unies contre la drogue et le crime (unodc.org), de l’Organized crime index (ocindex.net; transparency.org étudiant plutôt la corruption) qui semblent jouer à cache-cache entre eux. Tirent-ils tous trois leurs données de la police locale, qui – comme à Genève – assure que «le sentiment d’insécurité baisse»? Pas facile – même à l’aide de ces trois ou quatre outils – de capter l’état de la sécurité dans le monde ou dans notre ville. Mais comme souvent, c’est moins dans ce que les chiffres disent que dans ce qu’ils masquent que se lisent les failles de notre société… et de ses excès amoureux.

On connaît le vieil adage: «Ne croire qu’aux stats qu’on a faussées soi-même». La cause des chiffres erronés est à chercher souvent dans l’intérêt: on truque alors les comptes de propos délibéré… contre les impôts, pour la Bourse, face aux dettes. Ou alors, cela vient du sujet touffu, et les experts marchent d’un pas qui se veut sûr dans des sables mouvants: les prévisions économiques en sont un cas classique. On est là dans l’erreur plus que dans le mensonge, même si un «expert» se note par son aplomb face aux questions qui le dépassent.
Entre les deux cas de figure, entre le mensonge et l’erreur figurent les statistiques, terme dérivé de «Staat», l’allemand pour «Etat». Certes, les pouvoirs publics ne sont pas seuls à souvent prendre leurs désirs pour des réalités: mais pour eux, parader face au public «souverain» est une question de survie. «Prouver» les bienfaits des politiques sanitaire, éducative, urbaine, sociale… Mais pourquoi donc est-ce en matière de sécurité que les «vrais» chiffres sont le plus durs à trouver?

Un indicateur est-il mauvais
«indic»?

A la hausse… à la baisse… entre les doubles planchers et les doubles plafonds, même les données de base sont en conflit. Ces jours, alors que la «Tribune» placarde – on l’a vu plus haut – une manchette rassurante, «GHI» titre sur les quartiers minés par les jeunes incivils. Et ce n’est pas la faute à la presse: pour l’an dernier chez nous, les chiffres rendus en mars donnaient le crime à la hausse, cet automne, à la baisse. Vrai, les premiers étaient pour les crimes graves dans le pays, les seconds, pour les véniels dans le canton. Et dans le monde, quand on cherche en ligne des chiffres «fiables», les articles qui mettent en garde contre les statistiques de la criminalité – sous des plumes savantes, sans compter les réseaux sociaux – dépassent presque en nombre ceux qui les prennent au sérieux. Aussi, de par son demi-millier de contacts à travers le monde, la «Global Initiative against Transnational Organized Crime» donne-t-elle de quoi en savoir pas mal avec son Organized Crime Index! Mais le crime organisé n’est qu’un chapitre du crime; et «organisé» est une notion floue: quid d’un groupe d’ados des «quartiers», ou de potes qui grugent leur «office»? Et l’Index donne moins de «faits et chiffres» que de cartes du monde en couleur, assorties de bavardage. Lors du débat sur l’Index, on a surtout appris des choses de la «chatbox»: en Afrique du Sud, le crime organisé est en plein essor sur les chantiers et dans les transports, et au Mexique, chez les passeurs d’Africains.
«Hors Champ» ne livre pas ici une synthèse de l’Index ni des études de l’ONU, mais jette comme d’habitude un coup d’œil hors du champ officiel. Qui désormais se plaît à mettre en valeur – à tort ou à raison – les crimes «genre», «climat», etc. Un ou deux chiffres ont semblé encore plus parlants à «Hors Champ».

C’est pas moi, c’est l’autre!

La criminalité organisée cause autant de morts que toutes les guerres confondues, malgré un regain de champs de bataille ces derniers temps; et la criminalité tout court en cause trois à cinq fois plus. N’empêche, la «société civile» s’indigne surtout des crimes dus au commerce et à l’industrie (mais pas à ceux de la criminalité syndicale à la Tony Boyle ou Jimmy Hoffa: vite vu en ligne, on n’a qu’un texte de 1953 à se mettre sous l’œil, tandis que ituc-csi.org/2023-global-rights-index-en crie contre l’autre camp). On ne compte plus les manifs contre «le grand capital coté en Bourse». mais on n’en voit pas une contre le monde criminel. Sauf, bien sûr, en Italie et dans l’un ou l’autre pays d’Amérique Latine.
L’Index met même en exergue un cas combinant commerce et guerre: le procès de deux patrons du pétrole jugés en Suède pour des crimes au Soudan. On dira que c’est plus utile: un patron coincé vaut dix fantômes planqués; pas sûr, car un public «alerte» peut mettre sur la touche plus d’une «mafia» encore à l’abri de ses «droits» sur nos chantiers ou dans nos «offices». Donc la question reste ouverte: la «perception» publique est-elle fiable, et les études «savantes» cherchent-elles surtout à lui plaire? Ce serait d’utiles sujets de doctorat en criminologie ou en psychanalyse; d’ailleurs, un policier de haut vol a écrit un livre sur le lien – au cinéma – entre les héros en rupture et les criminels mécènes.
Bref, le crime aussi se nourrit de bons sentiments: l’indulgence de la société civile qui voit partout des rebelles, et la passion amoureuse, premier facteur d’homicide. Mais au tour de «Hors Champ» d’avoir des bons sentiments: qui a vu un documentaire sur les prisons au Sud se dit que même des monstres ne peuvent subir ça.

 

Boris Engelson