La première tour en structure bois de Suisse romande, avec une façade active en photovoltaïque.

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Spécial énergie - Innovation architecturale à Prilly-Malley

La tour en bois, l’expression de notre temps

15 Nov 2023 | Culture, histoire, philosophie

La Suva, principal assureur accidents en Suisse, porte une attention particulière au développement durable dans ses investissements. En témoigne Malley Phare, dans l’Ouest lausannois, un projet pour le moins audacieux: la première tour en structure bois de Suisse romande avec une façade active en photovoltaïque est en cours de construction. Avec ses 60 mètres de haut, le complexe résidentiel répondra aux exigences «Site 2000 watts» et aux valeurs cibles SIA 2040, tout en visant le label Minergie-Eco. Le projet a été développé par le bureau d’architectes CCHE Lausanne SA; sa réalisation a été confiée au Consortium JPF – Perspectives Construction.

S’appuyant sur la mutation qui se profilait dans les années 2015, notamment le Plan partiel d’affectation (PPA) «Viaduc» qui prévoyait une densification en hauteur, les architectes du bureau CCHE ont proposé à la Suva d’étudier la possibilité de surélever le centre Malley Lumières. Ce dernier – construit en 2001 et conçu également par CCHE – comprend des commerces, un cinéma, un fitness, une piscine et trois étages de parking souterrain. Une fois la proposition de tour validée, un avant-projet fut élaboré (2016), suivi d’une enquête publique puis du projet définitif (2020-2021). Le chantier de Malley Phare put démarrer en 2022 pour une livraison des logements attendue au printemps 2025.
Edifiée sur l’aile ouest du centre commercial qui abrite la piscine, la surélévation comprend quatorze étages, divisés en trois blocs. Cette organisation crée un dessin de façade composé de fentes, d’entailles et de loggias. Le bâtiment permettra d’accueillir environ 200 habitants dans 96 logements aux typologies variées. «Le contexte environnant cumule plusieurs contraintes majeures en lien avec la protection du bâtiment (voies ferrées, bruit, etc.), les objectifs de durabilité (Site 2000 watts), les paramètres techniques et structurels, ceci d’autant plus que le centre commercial reste en activité pendant toute la durée du chantier. Nous avons cherché à traduire ces contraintes en opportunités», souligne Fabio Leo, architecte et chef de projet CCHE Lausanne.

Investir avec conscience

Par le biais de ses placements directs dans l’immobilier, la Suva contribue à long terme à la rémunération du capital des rentes. Lors de la sélection de placements immobiliers en Suisse, elle prend en considération les trois dimensions de la durabilité, à savoir la société, l’économie et l’environnement, afin de garantir la valeur des biens à long terme et de minimiser les risques. Ainsi, la Suva, en tant qu’investisseur institutionnel, applique une politique d’engagement constructif pour faire de Malley Phare un édifice à la pointe de la technologie durable, favorisant le confort des utilisateurs et le respect des normes sécuritaires. Depuis les premières esquisses, le projet a évolué tout en gardant les valeurs d’origine, porté par des partenaires convaincus dont la Ville de Prilly. «Une tour monolithique en ossature métal était initialement prévue, relate Fabio Leo. L’idée du bois est venue par la suite, en lien avec l’importance croissante des enjeux énergétiques et la réglementation en matière de feu qui autorise depuis 2015 la construction de bâtiments en bois de plus de trente mètres».
Le groupe cible d’utilisateurs a également été redéfini, afin d’être en phase avec les changements sociétaux auxquels nous assistons, en particulier depuis la pandémie. Avant même de penser aux typologies d’appartements et à l’organisation de l’espace, CCHE a analysé les spécificités territoriales ainsi que les publics cibles. Quels sont les profils des personnes intéressées à habiter dans ce quartier? Comment vivent-elles et quelles sont leurs attentes en termes de logement, d’équipements et d’espaces extérieurs? «Notre étude socio-spatiale nous amène à une compréhension territoriale très utile pour définir un projet de logements et l’adapter au plus proche des besoins, indique Florence Chacornac-Mages, directrice de communication chez CCHE. Malley Phare répond aux besoins de locataires cherchant des lieux de vie flexibles, dont la taille et l’agencement soient adaptés aux besoins du moment sans pour autant comprendre des pièces superflues. Ces locataires souhaitent toutefois pouvoir accueillir occasionnellement des amis, de la famille ou une jeune fille au pair, ou encore faire du télétravail dans des espaces à disposition. Enfin, ils sont partisans de mobilité douce et de transports en commun, profitant de la proximité immédiate avec le train, le bus et bientôt une nouvelle ligne de tram qui reliera la gare de Renens à la place de l’Europe à Lausanne. Bref un environnement spatial et social unique».
L’analyse de CCHE a conduit à établir une offre diversifiée: studios, lofts, 2,5 pièces, 3,5 pièces et 4 pièces, dont 10% en logements d’utilité publique (LUP). Tous les appartements, sauf les studios, bénéficient de loggias (entre 13 m2 et 16 m2), qui offrent un prolongement à l’espace de vie, tout en jouant un rôle de protection phonique et de régulateur thermique. Plusieurs espaces communs sont à disposition des habitants, soit des chambres «jokers» (pièces supplémentaires multi-usages) et des lieux de coworking en double hauteur. Un couloir central nord-sud relie les habitations avec, à chaque extrémité, des espaces sur une triple hauteur où sont réunis ascenseurs, cages d’escalier et buanderies. Au sommet de l’immeuble sera aménagé un bar rooftop, lieu de convivialité, offrant une vue dégagée sur le lac.

Le bois, un matériau noble et renouvelable

Afin de limiter les charges sur les fondations, le bois a été largement privilégié à Malley Phare; la structure de la tour Malley Phare est composée de hêtre, frêne et épicéa, provenant majoritairement du canton de Vaud et du Jura. Cette utilisation en circuit court correspond pleinement aux objectifs de durabilité du projet. «Le bois cumule plusieurs avantages soit la légèreté – importante pour la statique du bâtiment – et la préfabrication des éléments qui induit une vitesse d’exécution, explique Fabio Leo. De plus, un chantier en bois peut être mené ‘à sec’ et sans installation importante, contrairement aux ouvrages réalisés en béton. Enfin, le bois absorbe le CO2, ce qui réduit l’empreinte carbone. En termes de financement, les structures en bois ont un coût comparable à celles de métal; par ailleurs, le bois des forêts suisses ne connaît pas les problèmes d’approvisionnement et d’augmentation de prix auxquels nous sommes confrontés actuellement pour d’autres matériaux». Dans le but d’optimiser le projet Malley Phare, les partenaires ont mis en place un mandat d’études parallèles (MEP). Cette procédure, organisée autour de workshops échelonnés sur une année, a permis de confronter les propositions de quatre entreprises «bois» et de sélectionner la solution techniquement et économiquement la plus avantageuse; JPF Ducret à Orges/VD a remporté le mandat.
Pour la production d’électricité, des panneaux photovoltaïques seront installés sur les quatre façades de la tour ainsi que la toiture, l’objectif étant de produire 253 300 kW par an. Sur la base d’algorithmes paramétriques, les équipes de spécialistes de CCHE ont élaboré de nombreuses variantes afin de déterminer la plus efficace énergétiquement tout en étant viable économiquement. Le choix s’est porté sur des modules perméables – qui laissent passer la lumière – aux densités variables.

Une prouesse technique

Pour mener à bien le projet, il n’était pas envisageable de reporter les charges de la tour sur le complexe originel, ni de le traverser avec des piliers. Une solution ingénieuse a été déployée: concevoir un bâtiment-pont de 48 mètres. Offrant un socle périphérique, trois murs d’enceinte, épais de 80 cm, ont été élevés sur une quinzaine de mètres à 30 cm des façades existantes. Les fondations se composent d’une vingtaine de barrettes de béton, qui vont chercher la molasse à 25 mètres de profondeur.
La tour repose sur «un squelette» métallique (5% de la structure), poutres en acier qui assurent la répartition des charges sur les trois murs périphériques. Le bois – 95% de la structure – vient s’imbriquer dans l’acier pour former les murs porteurs, qui sont protégés par des plaques de Fermacell, du fibre-gypse faisant notamment office de coupe-feu. Si les locataires auront le privilège d’habiter dans du bois, seules les solives des appartements (pièces de charpente) et le plafond des loggias laisseront apparaître ce matériau. Les dalles sont en bois-béton, afin de rigidifier le plancher et de garantir l’inertie thermique et l’acoustique. Un étage intermédiaire, dont le sol est le toit de Malley Lumières, abrite les éléments techniques; il marque la transition entre l’existant et la surélévation.
Certes, Malley Phare ouvre la voie aux possibilités infinies qu’offre la construction en bois. Mais cette réalisation montre aussi que seule la convergence d’idées entre les partenaires et une volonté forte peuvent faire aboutir un projet de cette envergure.

 

Véronique Stein