C’est chez ce «scientifique» que se réunirent les «impressionnistes» les moins «diplomatiques».

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hors champ

La science est-elle soluble dans la diplomatie?

1 Nov 2023 | Culture, histoire, philosophie

 Notre monde souffre-t-il d’un trop-peu ou d’un trop-plein de science? Selon qu’on voie les choses comme ci ou comme ça, on jugera d’une autre façon les grandes manœuvres scientifiques qui se sont succédé ces jours: l’ouverture du Portail de la Science au Cern et son accueil immédiat du Geneva Science and Diplomacy Anticipator (gesda.global; voir aussi diplomacy.edu). Et si «l’esprit de la science» était ailleurs?

A la fin du 3e sommet du Gesda, les caméras des grands médias se pressaient autour du podium. Mais peut-on filmer l’esprit de la science, ce fantôme que les génies croisent une ou deux fois dans leur vie avant d’être confits dans le Nobel?

Quand l’académisme roule les mécaniques

Manuels barbants, clinquant technique… est-ce dans le «sans-faute» et dans le «presse-bouton» que la science fait le plus montre – et surtout preuve – d’esprit? Question aussi vieille que «doit-on dire la science ou les sciences?»; mais urgence nouvelle, car l’ambiguïté originelle (entre l’esprit de la science et le corps des savants) vire depuis peu à la schizophrénie… bien masquée comme toujours. Si on ne peut voir un esprit, on peut à la rigueur le cerner: à une causerie sur la science en bédé à un salon du livre à Ferney, un auteur disait «l’art du bédéiste, c’est suggérer ce qui se passe entre les cases». On est loin de la pédagogie scolaire telle que l’ont subie les élèves du temps où le savoir était rare: désormais, «expliquer» est plutôt du rabâchage, «comprendre» est souvent une illusion… même au «Portail» du Cern.
Si la «science» se cache dans les détails – où elle mène la vie dure au faux du diable -, la «vérité» est dans le profil: n’est-ce pas la leçon des peintres maudits réunis jadis chez Nadar, sans parler d’un Daumier qui «dit vrai» en trois traits (voir image ci-contre)? Bref, l’esprit de la science ne peut être filmé, mais il peut être rendu: plus impressionniste qu’académique.

L’alibiologie, la seule vraie des «ologies»?

En cherchant en ligne des «scientifiques non conformistes», on tombe au contraire sur des articles dénonçant le conformisme incomparable de la recherche scientifique (voir entre autres les articles de Philippe Hunemann et de Marie-Pierre Olphand). Recherche «de plus en plus stérile» sous couvert de sérieux et de rigueur; et qui brouille les pistes par une inflation de publications «à faible taux d’innovation», admettent les bibliothécaires universitaires. Faut-il d’ailleurs rappeler qu’un des plus grands scandales de l’histoire de l’édition fut celui de la prestigieuse «Pergamon» de Robert Maxwell?
Mais au Gesda, au Cern, aux Ecoles polytechniques, on se dédouane désormais avec «l’éthique» et les «objectifs du développement durable». L’éthique est-elle «scientifique», voilà bien une question gênante: «La meilleure manière de prévoir l’avenir est de le créer», s’est exclamée une panéliste du Gesda à la fin d’un débat sur la «prévision» (tâche centrale du Gesda avec son «radar»; voir aussi mahmah.ch). Un tel slogan n’est-il pas plus «bolchévique» que «scientifique», comme l’a appris à ses dépens le grand révolutionnaire Vladimir Illitch, qui conclut en fin de compte que «les faits sont têtus».

La science manque-t-elle de
diplomatie?

On peut d’ailleurs s’interroger sur la solidité des prévisions – ou du moins des scénarios – entre professeurs et diplomates, plus à l’aise à la Maison de la Paix de bon ton qu’au jeu de la Vérité sans fard. Le forum du Gesda a fait voir un film hommage à Robert Oppenheimer: un grand esprit, semble-t-il, mais quand on cherche en ligne, on trouve des textes qui voient en cet homme un génial physicien, d’autres, un amateur dandy: comment savoir qui dit faux, si on est tenu à des propos «polis»? Laurent Séguélat et Alessandro Strumia furent jadis de mauvais ton, mais ils n’ont plus droit à la parole (alors que malgré leurs crimes – voir Wikipedia –, on dit dans les couloirs que sur le fond, ils avaient raison); bref, se proclamer «organisation de la science et de la diplomatie», c’est en somme un oxymore. La pensée libre a besoin de mettre des lieues entre les deux: à une soirée sur le tunnel de cent kilomètres que mijote le Cern, on répéta que «le monde de la haute science est tabou… il intimide le public qui n’ose plus sortir ses doutes» (noe21.org; la soirée s’est tenue à Annemasse)).

La science aura-t-elle son Woodstock?

A vrai dire, même la logique et la causalité n’osent plus toujours défier les grandes institutions «scientifiques»: alors elles ont profité des amateurs d’Annemasse et de Ferney pour faire entendre leur voix. «Valider le modèle standard de la physique implique-t-il à tout prix de faire tourner des particules à de toujours plus hautes énergie?» (Einstein n’en demandait pas tant pour valider E=mc2); «La mécanique quantique a sapé la logique causale de la physique»; «Dans mes dessins, il y a un navire «Forslo»… clin d’œil à «fourth law»». On peut donc se demander si la promiscuité entre les savants et le pouvoir n’est pas le baiser de la mort: peut-on imaginer un congrès de poètes ou de philo courtiser à ce point les ministres et les recteurs? Hélas! ça arrive, et chez les journalistes encore plus (wfsj.org/event/11th-wcsj-lausanne-july-1-5-2019/). De toute façon, les chercheurs sont – par leur statut – des fonctionnaires. Pas étonnant que le plus beau festival de science du XXe siècle – sous l’égide de la mairie «trotzkyste» d’Edimbourg – ait été snobé par l’Université.

L’optimisme est-il audacieux?

Ce texte a mis l’accent sur les questions qui fâchent, à dessein; n’empêche, le forum du Gesda tolère les critiques, et la présence de libéraux comme Peter Brabeck n’y est sans doute pas pour rien. On a pu aussi entendre ou voir des choses «uniques», mais quel «événement» n’en a pas? Le besoin d’un Gesda est-il le signe de la faillite de l’Unesco et de ses sommets de la science (unesdoc.unesco.org/ark:/48223/pf0000116341_fre)? Mais si le Gesda veut «anticiper», il doit avoir le courage de regarder l’avenir en face. L’exposition universelle «Le monde de demain» à New York fut une vitrine d’audace optimiste en 1939, mais s’est refermée en 1940 loin de ses espoirs.

 

Boris Engelson