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Les livres de la rentrée

17 Août 2022 | Le coin lecture

Littérature, architecture, histoire, romans… On trouve un peu de tout dans les librairies en ce début de fin des vacances! De quoi les prolonger en lisant et en rêvant non plus sur une chaise longue au bord de la plage, mais dans un vaillant et robuste fauteuil planté dans son salon.

L’éloge du débat

Il s’inquiétait de ce qu’il considérait comme une dérive de l’Europe, une montée de la violence et de l’intolérance, une régression de l’intelligence et de la civilisation. «Si l’on poursuit sur cette voie de la barbarie, que restera-t-il de l’Europe des cafés, de l’Europe de la pensée et de la culture?»: ce sont les derniers mots du grand écrivain et critique George Steiner, décédé le 3 février 2020, à 91 ans, qui fut professeur à l’Université de Genève dans les années 70 avant de poursuivre son enseignement et sa vie à Cambridge. On les trouve dans un long entretien posthume avec son ami Nuccio Ordine, qui vient d’être publié.
George Steiner aimait les textes, les grands auteurs, les tâtonnements et les fulgurances de la pensée, mais il avait aussi les pieds sur terre et aimait flâner, tout en méditant et en rêvassant, dans ces lieux de vie que sont les villes, les marchés, les parcs, les cafés… Il parle dans son œuvre des grands auteurs classiques – Platon, Shakespeare, Montaigne, Rilke, Goethe… – mais aussi, beaucoup, de l’architecture anglaise, du jardin de sa maison à Cambridge, des parcs, des relations avec les autres, de l’harmonie des villes et des villages… Car la culture européenne – la culture vivante, la contradiction, le débat – c’est dans les cafés qu’il la sentait vivre et qu’il la sentait battre, et c’est là, peut-être, qu’elle continue à vivre, loin des plateaux télé et des réseaux sociaux! (R.H.)

«George Steiner, l’hôte importun»,
entretien posthume avec Nuccio Ordine.
Editions Les Belles-Lettres.

Une vie d’architecte à Tokyo

Un immense architecte qui est aussi un artiste à la sensibilité aiguë et toujours en éveil… Kengo Kuma explique dans ce petit livre, rédigé sur le ton de la discussion entre amis, son rapport simple et complexe avec sa ville, Tokyo, le cœur de ce Japon qui fascine plus que jamais. Il a fait la gare de Shinjuku, le Stade olympique de 2021, tant d’autres constructions dans cette ville en mouvement perpétuel… «Je suis né entre Tokyo et Yokohama, explique Kengo Kuma, dans une région qui n’appartient ni à l’une ni à l’autre des deux villes. (…) Je suis devenu un «frontalier», au sens du sociologue et philosophe français Max Weber, observant Tokyo d’un point de vue extérieur. En me promenant dans ses rues, l’œil attentif, j’ai découvert une foule d’endroits, de cultures et de gens, et mesuré combien Tokyo était un ensemble de petits villages plutôt qu’une grande et unique ville».
L’écrivain français Jacques Laurent disait aussi que Paris n’était pas une ville, mais une juxtaposition de petites villes très différentes, chacune ayant sa propre atmosphère, sa propre vocation, son style. Kengo Kuma fait voir Tokyo telle qu’elle est, une ville dont l’apparente anarchie est source infinie de liberté. Tokyo, pour ceux qui la connaissent, c’est tout le contraire de la ville européenne, très ordonnée, très cadrée et toujours un peu prisonnière de son glorieux passé, et c’est tout le contraire aussi de la ville américaine, géométrique, rigide et tristement prévisible… Tokyo, c’est la vie brute, cascadante, sophistiquée, surprenante et terriblement attachante! (R.H.)

«Une vie d’architecte à Tokyo», par Kengo Kuma.
Editions Parenthèses.

Allez en paix, braves pêcheurs!

C’est un livre hors du temps et en même temps très actuel. Il est sorti un peu avant la Covid-19 et ses semi-confinements. Il est rédigé par un «témoin décalé de son époque», comme il aime à se présenter, Bernard Vauthier. Cet enseignant neuchâtelois, passionné de l’élevage fruitier (il a publié un «Patrimoine fruitier de Suisse romande» à la Bibliothèque des Arts) a brusquement ressenti une nouvelle passion pour l’univers des lacs et rivières, les poissons, les pêcheurs et les bateaux y relatifs. «1000 ans de pêche en Suisse romande» est une somme richement illustrée de plus de 500 pages, une référence qui sait, dit et montre tout sur l’univers de la pêche, de l’homme à l’hameçon, de l’embarcation à l’économie piscicole. Du lac de Genève et de celui de Neuchâtel au plus discret petit ru de Romandie, Bernard Vauthier explique ce qu’on pêche et comment on le pêche. Un «livre considérable», comme le dit son préfacier. (V.N.)

«1000 ans de pêche en Suisse romande»,
par Bernard Vauthier. Editions Favre.

Une ville à la croisée des chemins

C’est un livre un peu particulier, une sorte de document historique et c’est aussi l’hommage d’une fille à son père. Genevois de naissance et de cœur, Charles Heinen (1900-1988) fut chimiste, mais aussi et surtout «un historien contrarié», amoureux fou de sa ville. Il raconte dans ce livre, mis au jour par sa fille Jacqueline, l’histoire de cette bourgade au destin singulier, petite ville nichée entre le lac et la colline devenue, au fil du temps, internationale. En racontant la cité de Calvin «à travers ses visiteurs et son hôtellerie aux siècles passés», Charles Heinen fait revivre les hôtels, les auberges, les marchés, le bord du lac, l’atmosphère chic et élégante, les visiteurs dignes et prestigieux… L’ouverture aux autres, l’accueil, la tolérance… Une espèce d’équilibre, une forme d’humanisme et de douceur qui expliquent peut-être le charme tranquille de cette ville qui semble avoir gardé, quelque part, l’innocence d’un village. (R.H.)

«Une ville à la croisée des chemins»,
par Charles Heinen. Editions Slatkine.

Puis-je vous inviter à trendenser?

En suédois, l’art d’être bien chez soi se résume en un mot: «trendenser», suivre les tendances au bien-être. Frida Ramstedt est une influenceuse spécialisée en décoration intérieure et en aménagement. L’auteur nordique de ce livre croit à l’importance de respecter le nombre d’or cher à Léonard de Vinci lorsqu’on entend accrocher des tableaux. Elle insiste sur le respect des proportions d’une pièce lorsqu’on souhaite poser une moquette ou un parquet; son ouvrage de conseils n’a rien à voir avec les lubies d’un décorateur à la française ou à l’italienne: tout est scientifiquement calculé et précisé. La Suède est-elle oui ou non la patrie des notices de montage Ikea? Cette fois, au moins, on dispose d’un guide qui nécessite une lecture attentive, mais qui permettra d’obtenir des résultats garantis. Lumière, dimensions, couleurs… rien n’est oublié. Et pas mal de mauvaises habitudes (par exemple coller les meubles au mur dans l’illusion de gagner de l’espace: Frida Ramstedt appelle cela la «piste de bowling au milieu de la pièce»). Son secret: penser comme un architecte. (V.N.)

«Trendenser, l’art d’être bien chez moi»,
par Frida Ramstedt, Editions Flammarion.

Qu’est-il arrivé au vol MH 370 pour Pékin?

«Un mensonge déguisé en vérité»: le sous-titre de l’ouvrage de François Renault, spécialiste en aéronautique, résume assez bien ce que Noam Chomsky disait du contenu des médias contemporains. Il s’agit ici du fameux vol MH 370 de Malaysia Airlines, assurant la liaison entre Kuala Lumpur et Pékin, disparu le 8 mars 2014 moins d’une heure après son décollage. Aucune trace, depuis lors, ni de l’appareil, ni de ses 239 passagers et membres d’équipage. Pas d’enregistrement, pas de boîte noire, pas de trace radar, aucun indice, rien. Les Américains, si prompts à localiser n’importe quel terroriste à l’autre bout du monde, n’ont rien trouvé. Les Chinois non plus. Les institutions aéronautiques, les marines nationales, les outils les plus sophistiqués ont fait chou blanc. On se demande vraiment pourquoi. Sous la forme d’une fiction narrative, François Renault examine consciencieusement les hypothèses: acte terroriste, erreur humaine, accident de tir de missile, suicide d’un déséquilibré… Tout cela eût laissé des traces. Et l’auteur aboutit à une conclusion évidente: la disparition de cet avion et le fait qu’on ne le retrouve pas sont le fruit d’une opération minutieusement préparée et exécutée sans le moindre scrupule, en fonction d’une raison d’Etat. (Th.O.)

«MH 370», par François Renault. Editions Favre.

Paris ludique

Les Editions Favre sont dirigées par un grand voyageur devant l’Eternel, Pierre-Marcel Favre. Cela se voit par exemple lorsque c’est à Lausanne que l’on publie un guide d’un nouveau genre, entièrement consacré aux lieux parisiens centrés sur le jeu. On ne parle pas ici de caves interlopes où l’on imagine de vieux députés jouer au poker avec d’anciens chanteurs et de récents maîtres-chanteurs, sur des dialogues d’Audiard. Non, il s’agit de bars à jeux de société, de salles de jeux d’arcade, d’escape games originaux, de centres de réalité virtuelle, de jeux vidéo, de chute libre ou même de quidditch. Simulateur de vol, de chasse ou de combat, ou encore lancer de hache… Alors que les Parisiens sont encore en vacances, pourquoi ne pas s’offrir une escapade dans la Ville lumière, en couple ou entre amis? L’auteur, Rémi Mistry, est un spécialiste de la capitale française fasciné par la «gamification» de la société contemporaine. Un petit coup de cœur : le «Fury Room», dans le 2e arrondissement, un défouloir où vous pouvez librement casser des objets (ordinateurs, meubles, imprimantes…) si l’abruti à tableaux Excel du 3e étage vous a un peu énervé. (V.N.)

«Paris ludique», 100 lieux et activités, par Rémi Mistry. Editions Favre.

Le scandale Arès

En pleine offensive allemande de 1940 en France, deux mystérieux avions sans cocarde nationale attaquent et détruisent une colonne blindée de la Wehrmacht. D’où viennent ces appareils ultramodernes, dont l’un est abattu dans un étang où il est toujours englouti? Le journaliste Lefranc, héros du dessinateur Jacques Martin, (père également du jeune guerrier antique Alix), va enquêter et découvrir quelques secrets d’Etat. Martin, décédé à Orbe/VD en 2010, a publié pas moins de 120 albums (20 millions d’exemplaires) et confié de son vivant à d’autres dessinateurs le soin de poursuivre son œuvre. Sur un scénario du maître, Roger Seiter et Régric publient chez Casterman une BD dont un des personnages, journaliste à «L’Est républicain» nommé Jules Meyer, est inspiré d’un confrère bien réel, Arnaud Bédat. Le Jurassien a publié plusieurs livres, tant sur le pape François que sur Louis Chevrolet ou Jacques Brel, et a sillonné le monde pour le compte de nombreux médias suisses et français. On lui doit aussi une enquête sur l’affaire du Temple solaire, récemment rediffusée sur TF 1. Un bon moment de BD qui rendra nostalgique toute personne ayant connu les belles heures du «Journal de Tintin». (Th.O.)

«Le scandale Arès», par Jacques Martin, Régric et Roger Seiter. Editions Casterman.