Déjà novembre
Les soirées s’allongent… notre sélection de livres
Heure d’hiver, premier frimas, invasion prématurée d’articles de fin d’année dans les magasins: à n’en point douter, la saison est propice à la lecture. Reposons-nous des écrans et découvrons quelques ouvrages de toute catégorie!
Lausanne et son opéra
Un superbe ouvrage est paru chez Favre à l’occasion du cent-
cinquantenaire de l’Opéra de Lausanne. Il s’agit d’une réédition largement actualisée et complétée d’un premier livre consacré à ce lieu de culture et d’«aventure théâtrale» que les Lausannois de 1871 ont d’abord connu sous le nom de Casino-Théâtre. Sa construction fut – déjà à l’époque – un vrai chemin de croix, à tel point que l’on proposa de graver ces alexandrins en lettres d’or à son fronton: «A me voir élever nul n’osait plus prétendre / Oubliant qu’à Lausanne il faut savoir attendre»! Jean Pierre Pastori raconte avec force anecdotes et beaucoup d’élégance comment, sous ses noms successifs et dans ses salles laborieusement modernisées (pendant quelques années, l’institution fut «itinérante»), le Casino-Théâtre devenu Théâtre municipal puis TML-Opéra accueillit concerts, spectacles lyriques, revues, pièces, variétés, avant que la réouverture de 2012 n’inaugure une nouvelle ère avec d’ores et déjà des dizaines de productions. C’est Antonin Scherrer qui a complété l’ouvrage de Pastori; richement illustré, ce livre de 300 pages réalisé sous la direction d’Eric Vigié, «patron» de la maison depuis 2005, est un régal.
«Opéra de Lausanne – 150 ans d’aventures théâtrales», par Jean Pierre Pastori et Antonin Scherrer. Editions Favre.
L’impertinent Pierre Kunz
C’est un personnage marquant de la politique genevoise qui publie, à compte d’auteur, un recueil de ses interventions dans les médias ou sur les réseaux sociaux. Pierre Kunz fut directeur général de Balexert, député radical entre 1993 et 2008, puis constituant de 2008 à 2012. On se souvient de ses prises de position souvent énergiques, dénuées de souci du «politiquement correct». «Celui qui vient au monde pour ne rien troubler ne mérite ni égards ni patience»: cette citation de René Char que Pierre Kunz a placée en exergue de son ouvrage résume assez bien sa philosophie. Critique envers la France et son «identité nationale» («Ce qui unit un peuple, ce n’est pas l’identité de ses membres, mais leur volonté de partager un destin commun»), Kunz est aimablement cynique sur l’écologie: «Certains laissent croire que les peuples vont se laisser convaincre de passer aux énergies renouvelables au prétexte que bientôt les énergies fossiles seront épuisées: c’est alimenter du rêve. (…) Seule une taxe carbone appliquée globalement permettra à l’humanité de continuer à vivre dans un monde vivable». Et on retrouve le bouillant député quand il pourfend les slogans de gauche: «Les discours égalitaristes n’intéressent pas les peuples. Ceux qui les prononcent sont des dogmatiques ou n’ont que des visées électoralistes».
«Impertinences», par Pierre Kunz.
Chez l’auteur: 1287 Laconnex/GE
Lausanne et ses cafés historiques
En mai dernier, Grégoire Junod, syndic de Lausanne, annonçait la création du label «Café historique de Lausanne». La capitale vaudoise a la chance de compter une quarantaine d’estaminets, restaurants, bistrots et autres pintes qui conservent à travers le temps des éléments de décor, des meubles, des vitraux, une ambiance qui permettent de partager l’histoire et le patrimoine de la ville en découvrant la vie et les émotions de ses habitants. Authenticité, ancienneté, caractère sont des éléments déterminants pour obtenir ce label. Un ouvrage dû à Martine Jaquet, déléguée à la Protection du patrimoine de la Ville de Lausanne, et Isabelle Falconnier, est paru chez Favre, sous l’égide de la Municipalité. Bellement illustré (photos de Florian Cella) et enrichi de multiples évocations historiques rassemblées par Catherine Schmutz et Clara Lauffer, il se lit comme un roman. On découvre entre autres le Chat noir, émule de son grand frère parisien, et où Sidney Bechett, Arletty et Louis Jouvet avaient leurs habitudes lors de leurs séjours vaudois. Ou le Tibits, moderne restaurant végétarien, qui a conservé le décor de l’illustre Buffet de la Gare. Ou encore le plus vieux café, datant de l’époque bernoise, la Pinte Besson. Un guide à consulter sans modération.
«Cafés historiques de Lausanne», sous la direction de Martine Jaquet. Editions Favre.
La ville stationnaire
C’est un livre provocateur, mais qui apporte une réflexion intéressante sur les moyens de mettre fin à l’étalement urbain. Les auteurs, un ingénieur dirigeant une agence architecturale multidisciplinaire (tout le monde sait – sauf Jean Nouvel – qu’architectes et ingénieurs doivent travailler de concert) et deux architectes-urbanistes, dynamitent avec méthode le mythe de la ville dense et de la «smart city» en tant que solutions écologiques aux défis climatiques. Leur credo est la «zéro artificialisation nette», jointe à la réhabilitation des bâtiments existants et à leur adaptation aux nouveaux usages actuels et prévisibles. Les villes doivent cesser de croître; il faut d’urgence valoriser chaque bourg, chaque village, chaque petite cité en répartissant mieux emplois et infrastructures. Axés sur l’exemple français, les auteurs prônent une nouvelle décentralisation et estiment que «réconcilier la ville avec son territoire et ses habitants avec l’écosystème» est possible «en une génération ou moins». La ville stationnaire, une idée d’avenir? L’ouvrage a le mérite d’ouvrir le débat.
«La ville stationnaire», par Philippe Bihouix, Sophie Jeantet et Clémence de Selva. Editions Actes Sud.