Les quatre vérités de Jean-Marc Vaudiau
Les semelles de vent
L’esprit de pesanteur est celui de ceux qui s’en tiennent à des règles de conduite rigides, alors qu’il s’agit d’etre un voyageur aérien sans bagage.
Dans un célèbre passage de son œuvre, Nietzsche parle des trois métamorphoses de l’esprit humain. Le chameau, figure initiale, doit devenir lion; ensuite le lion doit devenir enfant; ainsi parle Zarathoustra!
1. Le chameau se plaît à porter les fardeaux les plus lourds; il supporte cette charge bien inutilement. Il est une bête de somme, sans conscience, tout juste bonne à transporter dans le désert les charges que d’autres ont voulu placer sur son dos. Le chameau, c’est l’état de l’esprit englué dans la matière et dans les apparences, qui n’a pas le discernement nécessaire pour savoir ce qui lui convient profondément. Il est mû par le sens du devoir.
2. Le lion, lui, s’est débarrassé de ce devoir extérieur. Au «Tu dois», il préfère le «Je veux»; il est son propre maître, il rugit pour exprimer sa volonté. Mais faire ce qu’on veut n’est pas encore être libre: c’est croire qu’on est libre, mais c’est répondre à des pulsions, à des injonctions intérieures. Le lion s’est chargé de fardeaux intérieurs et il s’est alourdi.
3. L’enfant est jeu, par opposition à la rigidité du lion qui était encore attaché à des valeurs qu’il souhaitait immuables. L’enfant joue pour jouer, non pas pour gagner; il est centré sur l’instant et non pas sur le but. L’enfant est intensément présent, il ne subit pas la moraline extérieure du chameau, ni la volonté intérieure du lion. Il est léger, innocent; il danse avec des semelles de vent, au lieu des semelles de plomb des deux animaux du désert.
L’esprit de pesanteur est celui de ceux qui s’en tiennent à des règles de conduite rigides, alors qu’il s’agit de ne rien posséder, d’être ce voyageur aérien sans bagages, capable de vaincre par sa légèreté tout ce qui voudrait asservir son esprit et sa liberté. Je me demande si, après tout, outre ce qu’on nous présente en rafales asphyxiantes et terriblement lourdes – le réchauffement, le climat, les guerres, les difficultés financières, les incendies ou l’approvisionnement d’énergie -, il n’y aurait pas une place pour la légèreté, pour l’insoutenable légèreté de l’être?