Le volt n’est pas la faute à Voltaire, mais l’oméga, c’est la faute à Ohm.

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hors champ

Où ai-je passé l’été? Dans une valve!

14 Août 2024 | Culture, histoire, philosophie

Fin juillet: pour le travail, c’est la basse saison, et même pour le loisir, une fois la «Parade» passée, on peine à trouver de quoi s’amuser. Alors, quand le quartier des Nations accueille le Congrès mondial du «froid», on se dit que là au moins, on sera à l’abri du soleil brûlant. En fait, on va se prendre d’amour pour une science mal connue du public: la «cryogénie» (indico.cern.ch/event/1296489/).

Que fait un journaliste, en quête de badge pour entrer à un tel congrès hors de prix et qui ne sait pas au juste à quoi les «cryogénistes» vouent leur vie? Il avoue sans gêne au Cern – qui chapeaute le congrès – ne rien savoir du thème mais être venu se soigner. Et ça marche… dans tous les sens: la science du froid touche à tant de choses qu’à la fin, chaque sujet «cryo» nous fait de l’œil. Et chaque objet donne à cette foule venue des quatre coins du monde une raison d’être. Quoi de plus touchant que cette jeune Basque qui passe tout un après-midi, sourire aux lèvres, à défendre les qualités d’une… valve. Et qui – quand on lui demande ce qu’elle fera «après» (quand elle sera lassée des valves), répond du tac au tac «Cet après ne viendra jamais!».

Quand ça gèle, c’est fluide

Si le Cern est le parrain du congrès, c’est qu’il a besoin d’aimants pour faire bouger et tourner les «particules élémentaires» dans ses accélérateurs. Or ces engins dévorent l’électricité, et ne pourraient faire face à leur tâche immense sans «supraconductivité»: aux grands froids, le courant passe dans un câble sans résistance. Pas «presque» mais «strictement»… même si – comme toute vraie science – ça choque le bon sens. Même pour les savants, cet «Ω» nul fut d’abord «incompréhensible», mais le «quantique» le veut même si «personne ne comprend ses raisons pour de vrai» (certes, tout le monde fait mine que oui, et… ça marche). Toutefois, aux stands des exposants dans le hall, les vendeurs de tuyaux et de frigos ratissent plus large (une des firmes présentes a fait ses débuts dans le froid pour… la bière).

Le frigo et l’aimant font
ménage commun

«La Big Science n’est pas tout: le grand froid est utile pour tout transport d’énergie électrique; le courant coûte cher, et ce n’est pas sans raison que la moitié du réseau de chemins de fer en Europe n’est pas électrifié; avec des milliers d’éoliennes en projet – plus hautes qu’une Tour Eiffel -, on a là un grand marché; le nucléaire aussi est un débouché!». Or si la Big Science pense peu au budget – même quand il est dépassé -, les industries trouvent que le grand froid a un coût… excessif: certes, flirter avec le zéro absolu près de trois cents degrés plus bas que nos hivers, c’est bon pour le courant, mais on se ruine en frigos; cent cinquante degrés, ça «chauffe» un peu plus, ça coule moins bien mais ça coûte moins cher.

Même âge que le feu aux poudres

Outre les électro-aimants et les lignes à haute tension, la «cryo» est au service du spatial, de la santé (scanners, dermato) et des aliments. Au congrès, un Indien a dit que – dans son pays – près de la moitié des récoltes était perdue par le moisi, et que l’Inde n’exportait qu’un ou deux pour cent de fruits et légumes alors qu’elle en est le second producteur. D’ailleurs, la science du froid est ancienne: on savait déjà faire des sorbets dans l’Antiquité, même si ce «savoir» était peu clair.
Et l’histoire du frigo le fait remonter à… l’année de la Révolution française. Le principe du frigo est le même que celui du moteur de voiture: pour refroidir un corps, il faut en tirer de l’énergie thermique pour en faire de l’énergie mécanique; bref, détendre un gaz dans un piston (la plupart des frigos recourent à l’hélium ou à l’azote, les gaz les plus sûrs). Des techniques plus modernes font appel au magnétisme et le nec plus ultra au laser. Mais ce n’est pas ce qui comptait au congrès: «Ici, on est réparti en deux camps: ceux qui produisent le froid et ceux qui font les matériaux (qui tiennent le coup); d’ailleurs, assis dans la salle, un camp ne comprend rien à ce que raconte l’autre à l’écran et au podium».

Que de matière dans un trou noir!

Tout ça n’explique pas l’enthousiasme de ces centaines de jeunes chercheurs; la plupart doctorants au Cern ou affiliés à des académies (de rares «moutons noirs» œuvrant chez les fabricants). Comment en sont-ils venus à leur passion «cryo»? Le plus souvent, par hasard: l’un rêvait d’une physique aux élans célestes, l’autre était férue des maths les plus pures, puis les besoins de l’industrie les ont happé(e)s. Et là, ils/elles ont découvert combien une simple valve mobilise de savoirs et présente d’obstacles à vaincre. Sur la grande autoroute de l’astronomie ou dans le salon intime de l’atome, le chic est plus grand, mais plus grand aussi le risque de l’embouteillage ou de l’enfermement. La passion des «cryologues» tient peut-être à ça: ils ne sont pas en quête de gloire.

Le rien est-il chaud ou froid?

N’empêche, à force de voir des instruments et de lire des panneaux, on finit par retourner dans sa tête des questions d’enfant: «On dit que dans l’espace interstellaire, la température est proche du zéro absolu; mais si je sors de ma fusée, aurai-je chaud ou froid?». Dans le vide, la température n’a pas grand sens: pas d’atomes à qui les miens peuvent céder leur agitation; par contre, rien pour bloquer mes rayons rouges. Amusant: même les experts croisés au congrès ont du mal à traiter la question; mais – ouf! – des oracles municipaux sont là pour éclairer le peuple (geneve.ch/themes/culture/bibliotheques/interroge/reponses/un-humain-combinaison-spatiale-ressentirait-il-une-sensation-de-froid-espace-combien-de-temps-survivrait-il-cette-situation).

 

Boris Engelson