L’art de faire croire… que le capital nous tond (on dirait que la part des salaires s’effondre,
quand elle passe de 78% à 74%).

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Hors Champ

La dîme doit-elle passer à cent?

10 Avr 2024 | Culture, histoire, philosophie

Il y a des «causes» qui vont de soi: elles ne riment pas à la lettre avec les Dix Commandements ni avec la chasse aux Sept Péchés Capitaux, mais elles ont un air de famille: être charitable, avoir le sens civique, faire œuvre utile, et… payer ses impôts. Ça va même tant de soi qu’à la longue, on se demande à quoi sert tant de prêche (ou à qui sert: aux pécheurs ou aux prêcheurs?). Le taux de l’impôt – la «dîme» de jadis valait un dixième – n’étant qu’une étude de cas sur les caprices de l’éthique.

Bravo au Festival (…) des droits humains qui fut moins «dans la ligne» que les autres années: on a même pu y entendre que le contraire de «conservateur» n’était pas toujours «progressiste» mais parfois (hélas!) «narcissique». Bref, chez les ténors de l’art engagé et les stars du féminisme ultra, il y a – comme chez la Castafiore – un effet miroir dans leurs belles visions: ce fut dit à mi-mot.

Vive la fraude fiscale!

Mais ça, c’était aux journées réservées aux «professionnels de l’impact», soudain pris de vertige devant un «intérêt public» toujours plus béant: «Des sondages disent que pour près de la moitié des jeunes, une dictature militaire serait d’intérêt public». Alors avant de se quitter en fin de festival, mieux vaut rentrer en terrain sûr; une soirée de clôture est le moment parfait d’une reprise en main: quoi de mieux, pour souder la grande salle bondée, que de partir en croisade contre «le grand méchant riche qui cache son or au fisc». Au podium après le film, cinq chevaliers à l’épée d’argent, et dans la salle, un millier de croisés au cœur en or.
Car l’heure est à la croisade, plus guère aux regards croisés, comme le montre l’intitulé: fifdh.org/festival/programme/2024/forum/tout-est-dit-il-convient-dagir/. Hélas! Un seul plan du film ou une seule phrase du débat pouvait mettre par terre le château de cartes en Terre Sainte. Sans doute fallait-il échapper à la première heure d’arguments chocs pour garder la distance critique (la séance affichant complet, on pouvait au mieux se faufiler dans la salle vers la fin du film juste avant le débat; puis compléter par des lectures et des courriels; voir aussi youtube.com/watch?v=j6j0uucCBrU).

Aux cartes, un est plus fort
que dix

Au moment où je suis entré dans la salle, un ministre africain occupait l’écran: il se plaignait des sociétés minières qui se jouaient du fisc de la Zambie par leur siège financier à l’étranger. J’en fus surpris: après la chute de Saddam Hussein, l’Irak avait mis aux enchères les licences pour le pétrole; les marges des prospecteurs étaient minimes et les compagnies américaines n’en étaient pas sorties gagnantes (c’est du moins ce que montrait un documentaire d’époque). Vingt ans plus tard avec des ministres formés aux meilleures Universités et assistés par les agences ad hoc des Nations Unies, la Zambie avec son cuivre ne peut-elle faire aussi bien?
Bref, dès la première seconde, si ce que dit le ministre étaie la thèse de la soirée, tout ce qu’il omet la sape. Plus personne n’oserait dire de nos jours que les pays de l’Opep sont tondus par les «Sept sœurs» d’Anthony Sampson. Alors de nos jours, prêter à de telles reines déchues les mêmes abus au fin fond de la Zambie ou de l’Equateur est-il crédible? On aime bien voir les grandes firmes comme les carrosses de rois paresseux rançonnant le peuple et pillant les pays sur leur route. Pourtant, elles ne sont pas à l’abri d’une faillite: Alusuisse n’est plus qu’un souvenir, malgré ses immenses domaines en Australie. Et – on le voit chaque jour – les délégués d’Afrique au Palais des Nations ont pour «job» de jouer la carte du valet face aux rois: après leur discours de victimes démunies, ils regardent leur montre en or et courent à la boutique acheter du Chanel pour madame. Clichés, certes, mais un Albert Cohen eût mis ces scènes de mœurs dans ses romans. En tout état de cause, l’histoire récente de la Zambie ne prouve pas que – du révolutionnaire et du prospecteur – le méchant soit le minier. Tout ceci pourrait du moins se débattre après le film; mais la séance le disait noir sur blanc: le temps n’est plus au «pourquoi» du problème, mais au «comment» agir.

«Jacques a dit» est un jeu social

Le débat qui suivit le film ne mit donc en scène que des gens de même couleur, malgré le sari rouge et jaune de l’experte à charge. On put y entendre que seuls les pays du Nord (oecd.org) avaient combattu à l’Onu la résolution pour une fiscalité uniforme. Cette fois encore, il semble que la cause soit juste et que seuls les nantis refusent un partage équitable. Mais là aussi, à écouter les voix absentes du débat, un doute vient: pourquoi donc les Français, les Allemands, les Italiens, les Turcs, les Estoniens, les Portugais, les Suisses, les Chiliens… qui élisent les ministres de l’Organisation des nantis seraient-ils pour la fraude des compagnies minières? Ils en souffrent, ne fût-ce que par les délocalisations.
Certes, «leurs» entreprises y gagnent, mais lesdites entreprises sont plutôt aux mains de caisses de pension ou parfois de princes du Golfe. Il y a donc une faille dans l’argumentaire. Et – on ne le répétera jamais assez – deux tiers des revenus d’une grande maison cotée vont aux salaires, même si le pour-cent a un peu baissé depuis les «Trente Glorieuses». Et qu’en Europe, la moitié du Produit intérieur va aux dépenses publiques (cinq fois plus qu’il y a cent ans).

Le Mur des Réformateurs

Tout ceci n’empêcha pas les stentors au podium d’appeler au réveil face aux «multinationales» qui nous tiennent en laisse. «C’est folie de leur tendre la main»; par contre, à l’ouïe de ces idéologues n’ayant que Joly, Stieglitz, Piketty, Adorno, Löwenthal, Mazzucato… à la bouche, le bon citoyen est tenu de vénérer sans discuter ces auteurs sacrés. Car seuls eux peuvent ouvrir les yeux au peuple «qui est manipulé: à preuve, il vote à droite». Pas de surprise, donc, quand la patronne de l’Institut des hautes études a conclu du haut de la science que «désormais, on sait où aller!». Dans le public, un jeune d’Ukraine – pas encore fait à nos modes de «débat» – a appelé à «dépolitiser la science». Et un expert au podium – un seul – a admis que les Universités trahissaient leur rôle en ouvrant la voie aux plaideurs au lieu de rester un lieu d’arguments… croisés.

Le but, c’est l’icône

Retour au «prendre l’argent où il est» des progressistes qui croient que ceux qui ont des «moyens» les ont à coup sûr «volés». Hélas! «Progressiste» rime cette fois avec «amnésique»: les vues des apôtres de la «révolution» – on le savait déjà en Egypte ancienne – mènent par nature au «massacre des koulaks» (cairn.info/revue-histoire-politique-2015-2-page-30.htm): si les faits ne collent pas au rêve, c’est qu’il y a des saboteurs à neutraliser. Eradiquer Satan est la raison d’être de tout clergé, même le plus dévoué; est-ce pour cela que de toutes les fraudes – en santé, en auto, en drogue, en achat, en douane, en ménage – c’est la fiscale seule qui fait bondir les gens de cœur et d’esprit: elle permet un éternel «remake» de l’Immaculée Conception et de saint Georges face au dragon.

 

Boris Engelson