/

Les quatre vérités de Jean-Marc Vaudiau

Alexandrie, Alexandra

30 Août 2023 | Les 4 vérités de Jean-Marc Vaudiau

La statue de pierre dit «non» à la mort,
«non» au temps qui passe,
«non» à ce qui va de soi.

Les vacances ont été l’occasion de me rendre à Alexandrie d’Egypte, un lieu prodigieux où chante l’histoire: le port où jadis accostaient les bateaux du bout du monde, et la bibliothèque, bien sûr, avant tout. Sur l’esplanade, on est pénétré par des strates de légendes qui alternent avec celles de l’Antiquité historique.
Sur la façade de la nouvelle bibliothèque, quantité de signes dans tous les sens. Des lettres, des hiéroglyphes, des dessins. On songe à une écriture murale cryptée, mais on a tort: ces signes ne veulent rien dire du tout. Il est inutile d’en rechercher la signification. Ils sont organisés pour mettre en évidence six lettres qui n’apparaissent pas tout de suite clairement: E-G-Y-P-T-E. C’est le seul mot que l’immense mur griffé dévoile; tout le reste est à proprement parler muet. Et puis, à côté du mur, récemment ressortie de l’eau par les archéologues dirigés par Jean-Yves Empereur, reconstituée comme un imposant puzzle de granit, la statue de Ptolémée, celle qui jadis, près du fameux phare, accueillait les visiteurs qui entraient au port.
L’Egypte non moins que la Grèce avait pour habitude d’accueillir les arrivants par des statues. La statue de pierre dit «non» à la mort, «non» au temps qui passe, «non» à ce qui va de soi. Elle est le grand défi de l’homme à tout ce qui se délite. C’est elle qui se dresse contre l’ensablement du désert. D’une manière générale, tout ce qui se redresse, comme les statues, comme les croix tombales ou même comme les menhirs de Carnac, est la marque du lieu; tout semble dire: ici, en ce lieu, l’homme fait la nique à la mort, à ce qui périclite.
Et lorsqu’il s’agit d’une bibliothèque, c’est-à-dire d’un lieu qui a pour vocation de conserver les écrits des hommes, c’est doublement un «non» à la mort qu’on entend, victoire double de l’esprit sur la matière comme est double la tutelle d’Athéna et d’Isis, les deux déesses de pierre qui flanquent la porte d’entrée. Deux femmes rusées, intelligentes, maîtresses du verbe, d’une beauté sidérante et d’une séduction infinie. Alexandrie, Alexandra!