Les quatre vérités de Jean-Marc Vaudiau

Nous sommes guidés non par l’exemple d’autrui, ni par le sens de l’honneur, ni même par le devoir commun suspecté de domination donc d’autoritarisme, mais par un vague sentiment formaté par la bien-pensance.

Parmi les valeurs qui sont en perte de rayonnement: l’honneur. Largement supplanté par l’intérêt personnel, par la réussite individuelle et par la lâcheté, l’honneur n’a plus trop la cote, admettez-le. Platon pensait que c’était la vertu propre aux gardiens de la Cité, à ceux qui défendaient une vision qui dépassait leur petite personne. Participant ainsi de la beauté du monde, l’honneur s’opposait chez ce philosophe grec à la honte et à l’indignité.
Aujourd’hui, nous sommes passés de «tous les hommes sont égaux» à «tout est égal». L’horreur des hiérarchies s’est peu à peu imposée. Ainsi, le nivellement a limé le désir de se distinguer par l’accomplissement de grandes choses. On mettait, il y a quelques décennies encore, un point d’honneur à ne pas se laisser aller à son naturel égoïste et intéressé, et à agir selon un idéal. Donc selon quelque chose de durable, capable de dépasser un peu notre bien-être momentané. Quelque chose aussi capable de rassembler en amont de l’arbitraire de chacun.
Ce qui a remplacé le point d’honneur? Une sorte d’émotion vaseuse et informelle que chaque individu peut éprouver sans difficulté et sans effort, le fameux «ressenti»! Il faudrait agir selon ce que nous ressentons, puisque toute sensation est forcément vraie. Nous sommes guidés non par l’exemple d’autrui, ni par le sens de l’honneur, ni même par le devoir commun suspecté de domination donc d’autoritarisme, mais par un vague sentiment formaté par la bien-pensance. La stupidité de notre temps se fonde sur la certitude arrogante d’incarner la marche du monde, et ce «ressenti» est le ciment médiocre, le modèle déposé qui a succédé à la verticalité de l’honneur, le panache de Cyrano en somme!
Le réflexe a remplacé la réflexion. L’avenir radieux qu’on nous promet est d’une niaiserie sans nom. Ainsi, le point d’honneur aujourd’hui est de refuser de plier le genou devant le processus qu’on nous peint aux couleurs de progrès, et de ne pas céder aux impératifs des minorités.