Un ennui de qualité

Il convient de ne pas se tromper d’ennui. Il existe un ennui métaphysique, une sorte de mal de vivre, de lassitude que le poète appelle spleen ou que Sartre appelle nausée et qui nous plonge le plus souvent dans ce sentiment que la vie est dérisoire, contingente, et que notre quotidien cafardeux porte en lui comme une fissure. Cet ennui qui assèche le goût de vivre s’impose parfois, mais il convient de le fuir, car il est porteur de néant. Vivre est plus urgent que le néant car l’homme est fait pour vivre, même si c’est parfois difficile. La littérature, elle, cultive le spleen, car il est un engrais à la création.
Il existe cependant une autre forme d’ennui, celui qui nous permet de vivre dans la non-urgence et de remettre à bien plus tard ce qu’on pourrait faire aujourd’hui avec précipitation. On ne fait rien d’important, on vit à l’écart des agitations du monde, des foules, on se laisse aller au bâillement et à la lente contemplation des choses, même minuscules, qui nous entourent. C’est un peu un état de grâce à bas bruit, si la grâce consiste à savoir s’émerveiller de nos disgrâces. Cet ennui se mesure à ce dont on se débarrasse au lieu de ce qu’on accumule, à la capacité qu’on a à se distancier des apparences et de leur trop-plein.
L’enfant s’ennuie parfois de cette manière, à l’angle d’une cour de récréation ou dans sa chambre, lorsqu’il sent monter en lui le ralentissement du cours du temps. Dans les faits, il s’agit d’une force momentanée, capable de le détacher des tentations dont il devenait l’esclave. C’est un enfant calme, un peu lent. On regarde souvent avec suspicion cet enfant rêveur en quête de son pays intérieur. On songe alors au mot de Blaise Pascal: «Tout le malheur des hommes vient d’une seule chose, qui est de ne savoir pas demeurer en repos dans une chambre».
Il existe tout un monde d’ennuis dont l’existence nous échappe, rompus que nous sommes à l’agitation, à la tornade, au bruit et à la foule urbaine. Mais il n’est pas ennuyeux de s’ennuyer ainsi.