Un «après-vous»

Il est plutôt sidérant d’apprendre que de jeunes abrutis posent pour la photo et se prennent en selfies devant la porte du camp de concentration ou qu’ils jouent aux équilibristes sur les rails qui conduisent à Auschwitz. Que ce soit devant la tour Eiffel, le Jet d’eau de Genève, les pyramides d’Egypte ou le camp le plus représentatif de l’extermination des Juifs, tout se prête au jeu et à la pitrerie, tout est également occasion de se mettre soi-même sur le devant de la scène.
Une génération de malappris qui ne sait pas écrire sans faute, qui a une idée plus qu’approximative de l’histoire humaine et qui pense que télécommande veut dire commande de la télé se met partout en vedette devant un monde réduit à un simple décor. Et leur décor est interchangeable, parce que rien ne mérite plus d’attention qu’eux-mêmes. Ils psalmodient leur besoin de respect, mais ils ne respectent rien tant que leur propre ego. Or tout respect nécessite de la tenue, c’est-à-dire de la retenue. Le respect prône un «après-vous» (comme on s’écarte en disant «après vous, Madame»), au lieu du sempiternel «d’abord-moi».
Avant de se rendre dans le plus grand cimetière du monde qu’est Auschwitz, une nécessaire préparation culturelle doit se faire, et sans doute aussi une préparation intérieure. Tous les lieux ne se valent pas, parce qu’ils ne sont pas tous chargés du même passé. Au contraire, il existe des hiérarchies entre eux, et certains endroits du monde nécessitent qu’on s’en approche avec retenue, avec modestie, les yeux baissés. Devant la grandeur, le génie ou devant l’horreur et la tragédie, un «après-vous» s’impose à tout esprit un peu attentif au vent de l’Histoire, un peu soucieux d’autrui.
C’est l’idée de hiérarchie qui a déserté notre société en déclin, l’évidence que tous les lieux, toutes les heures, toutes les années, toutes les idées ne se valent pas. Dans l’horizontalité ennuyeuse qui est la nôtre, nous avons oublié qu’il est des lieux qui peuvent nous transformer, c’est-à-dire nous rendre moins inhumains.