Les quatre vérités de Jean-Marc Vaudiau
Sois sans illusion et malgré tout heureux!
Etre heureux, c’est aimer la vie
avec le malheur qu’elle contient et
la traverser comme un danseur.
Telle est, très résumée en une brève formule, la leçon du «Zarathoustra» de Nietzsche, descendu de sa montagne. Et c’est une leçon de sagesse qui consiste, en dépit de notre impuissance à corriger le monde de ses terribles errements militaires et financiers, de tout ce qui nous heurte, nous désole ou nous attriste, en dépit de notre propre imperfection, une leçon qui conseille de ne pas céder à la déprime, mais de se laisser aller à cette puissance de vie qui est en nous. Il existe une sorte d’ivresse de vivre, fruit de la pulsion dionysienne, qui domine lorsque notre tendance à nous illusionner se meurt.
Nous vivons dans le mensonge que sont les illusions et le rôle du philosophe au marteau est de briser ces parois de béton qui nous empêchent de voir les choses nues. Nos souffrances et nos impuissances ont créé tout un monde imaginaire auquel nous nous accrochons pour survivre. Zarathoustra, lui, propose de nous en délivrer, mais ce n’est pas pour nous plonger dans la dépression.
Car la vie est par nature équivoque: elle est une force créatrice, mais aussi destructrice; elle augmente le monde, mais aussi le rétrécit; ce n’est ni bien ni mal, c’est la vie dans sa formidable énergie. La vie, pour durer, crée et tue; elle apaise et demeure violente. Or il peut arriver que ce soit ce versant sombre qui occupe le terrain, comme chez le dépressif ou le suicidaire. Mais nous ne sommes pas condamnés au tragique. Le bonheur est possible comme une émanation secondaire de la vie, pourvu qu’on ne s’illusionne pas sur la nature de ce bonheur et pourvu qu’on soit prêt à accepter les règles du jeu.
Car le bonheur n’échappe pas non plus à l’illusion. On pense d’ordinaire qu’il faudrait, pour être heureux, éviter le malheur avec sagesse ou avec détachement. Etre heureux, au contraire, c’est aimer la vie avec le malheur qu’elle contient et la traverser comme un danseur. Dans cette attitude joyeuse, Nietzsche pense qu’il s’agit de «dire oui». Dire oui! Oui à la vie telle qu’elle est, et avancer vers son destin… la tête haute.