Les quatre vérités de Jean-Marc Vaudiau
Quel luxe!
«Lorsqu’il ne te reste plus qu’un dollar en poche, fais cirer tes chaussures».
On apprend que malgré la crise de la Covid, malgré la guerre en Ukraine, malgré l’inflation qui fait augmenter les taux hypothécaires, les produits de luxe non seulement se vendent bien, mais font un tabac. La moitié du monde est mal nourrie, le combat de l’égalité des chances patine, l’étalage du luxe interpelle et choque. Le luxe est ordinairement condamné par tous les discours et en particulier par le discours politique.
Or on doit se demander – même si c’est politiquement incorrect – si le luxe n’est pas un mal nécessaire, non seulement du point de vue économique, puisqu’il dynamise l’économie et la force à plus de créativité, mais encore psychologiquement.
Tous les objets peuvent être compris selon leur fonction et selon leur signification. Un vêtement, par exemple, a pour fonction de tenir chaud, de protéger ou de dérober le corps aux regards, mais sa signification est tout autre: sa coupe, sa facture, son tissu, sa couleur envoient un message, donc ajoutent une signification qui est différente de sa fonction. Une montre, une voiture, des chaussures ou une paire de lunettes de même. Non seulement les objets servent, mais encore ils parlent, ils signifient; toutes les marques savent cela; elles vendent la marque; «cet objet est bien plus qu’une simple montre», lit-on. Le luxe pointe son nez au moment exact où la signification dépasse la fonction. Aussi, même des choses simples peuvent, selon la circonstance, se révéler un luxe.
Psychologiquement, le plus souvent, l’homme s’accommode mal du moyen, du médiocre et du banal, c’est-à-dire de ce qui est strictement utile ou fonctionnel. Il cherche quelque chose qui surpasse sa vie quotidienne, capable de l’emmener dans des sphères qui le font rêver, des sphères tout autres que celles de la satisfaction des besoins immédiats. Le luxe joue ce rôle de répondre à nos désirs, même si ces désirs peuvent se révéler inessentiels. Il me revient à l’esprit ce conseil: «Lorsqu’il ne te reste plus qu’un dollar en poche, fais cirer tes chaussures». C’est un luxe lorsqu’on n’a pas le sou.