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Les quatre vérités de Jean-Marc Vaudiau

 Chez ces gens-là, Monsieur, on pacifie sitôt que le bruit des moteurs déclare la guerre à la paix des passants et à celle des dormants!

«Pacifier»: c’est le verbe à la mode. A la mode dans un petit cercle d’initiés, cela s’entend. On pense immédiatement qu’il se serait agi de reformer la paix en Ukraine ou dans un coin du monde où on s’étripe; ou alors qu’il se serait agi de rendre calme un quartier où s’éventrent des bandes de motards, couteau à la main. Mais non, rien de cela. On pacifie des rues, c’est-à-dire qu’on y interdit les voitures. Chez ces gens-là, Monsieur, on pacifie sitôt que le bruit des moteurs déclare la guerre à la paix des passants et à celle des dormants! Car, dans l’univers de la mobilité, il existe deux mondes bien distincts: celui des doux et des conciliants, et celui des voitures et des agressifs! Et les premiers entendent pacifier les seconds.
Mais pourquoi «pacifier» et pas «modérer», par exemple? Le mot ressortit au vocabulaire de la bien-pensance. C’est-à-dire que quiconque envisagerait d’apporter une critique ou simplement une nuance serait aussitôt soupçonné d’être un va-t’en-guerre. «Comment ça? Vous ne voulez pas pacifier? D’où débarquez-vous?», lance-t-on les poings sur les hanches, avec cet accent de redresseur de torts que prennent souvent les gentils pour morigéner les méchants.
Emblématique de l’univers de la mobilité, le verbe «pacifier» s’est intégré à la langue de bois contemporaine, d’autant plus facilement qu’il affiche des allures généreuses. Or ce verbe substitue au vrai ce qui en possède l’apparence. Réclamer la paix, alors que personne ne parle de guerre en l’occurrence, est la base de toute cette profession de foi. C’est l’art de la bigoterie, qui fait passer toute contestation pour la volonté cachée de déterrer la hache de guerre. Car en réalité, malgré sa tenue de camouflage, «pacifier» fait partie – tout comme l’adjectif «inclusif» – du vocabulaire accusatoire. Ne pas y souscrire, c’est refuser d’entrer dans la bienheureuse perspective du «vivre-ensemble». Mais on fait du symbolique la mesure de ce qui doit se faire, et on instruit des procès en continu.