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Les quatre vérités de Jean-Marc Vaudiau

L’art n’a pas devoir d’exemplarité, pas plus qu’il n’a mission de salut.

Picasso est décédé en 1973, et 50 ans après sa mort, d’aucuns en mal de me too se posent la question de ses relations aux femmes de sa vie. Il ne manquait plus que ça pour que notre société bouffie de bien-pensance s’empare de ce sujet dans l’air amidonné du temps. Car l’homme ne fut pas un galant chevalier respectueux, nous assurent les thuriféraires du penser-juste. Des milieux néo-féministes montent aux barricades, déversant une glue morale sur le monde de l’art et figeant tout dans le martèlement stérile contemporain.

Ah, l’homme et l’œuvre! S’il fallait juger les œuvres des hommes à l’aune de leur vie ou de leurs actes, il est clair que l’univers artistique serait singulièrement faussé, puisque le bien moral interférerait dans le beau de la création. Même les Saintes Vierges des églises ne jouissent pas d’un certificat de bonne vie et mœurs de leurs créateurs. Celui-ci buvait, celui-là fréquentait les prostituées, cet autre se montra violent, cet autre délaissa femme et enfants… Mais dans le fond, tout le monde s’en fiche, à part une infime minorité de professionnelles de la néo-vertu, de dames patronnesses post-me too! Soyons clair: ce qui compte c’est l’œuvre, la création; le reste ressortit à l’univers de la justice s’il y a vraiment eu maltraitance, viol ou sévices.

Au-delà de l’effet de mode au sein des musées, ce qui est ahurissant est l’écho médiatique, voire même les répliques jusque dans l’enseignement: on pleurniche avec les modèles de Pablo Picasso. Bien… mais on manque l’essentiel pour tout créateur de ce calibre: la puissance de l’œuvre. Et tant pis s’il ne fut pas le sigisbée muet au service de sa Dame; c’est dommage, mais tant pis, car pas plus que la littérature, la peinture et la musique ne se bâtissent sur de bons sentiments. On ne pourrait plus lire Villon, Céline, Baudelaire, ni écouter Gesulado et tant d’autres dont les vies ne furent pas des modèles. Mais au sortir d’une œuvre d’art ou d’une exposition, personne ne se dit: «C’est ainsi que je vais devoir vivre désormais». L’art n’a pas devoir d’exemplarité, pas plus qu’il n’a mission de salut.