Les quatre vérités de Jean-Marc Vaudiau
Mon compagnon
Le pain partagé est le moment sacré de la réelle présence de l’autre, qui se voit immédiatement métamorphosé en compagnon.
L’étymologie du mot «compagnon», cum + panis, signifie «celui avec qui on partage le pain». Partager le pain est un geste extraordinaire pour un aliment ordinaire. Peu d’aliments d’ailleurs ont une histoire aussi riche que celle du pain, et peu de périodes humaines n’ont jamais eu affaire au pain, nourriture de base dans de nombreux pays. La raison en est simple: manquer de pain, c’est manquer de tout.
Mais c’est le geste de partager qui me retient aujourd’hui. Ce geste simple est d’une rare beauté. Assis à la terrasse d’un café, j’observe ce père qui rompt un morceau de sa tranche de pain et le place devant son très jeune fils assis à ses côtés. Machinalement, l’enfant prend la becquée et la porte à sa bouche, tout en observant le monde de la rue qui tourne sous ses yeux. Il ne fait pas attention au pain, il porte attention au monde autour de lui, mais il est pourtant relié à celui qui le protège et veille sur ses heures. L’enfant avale sans un mot et la scène recommence, l’adulte redépose un nouveau morceau sur une assiette devant le petit, qui s’en empare comme de quelque chose d’habituel. Voilà que le fils est devenu, en plus, le compagnon. Il y a dans ce partage anodin une infinie profondeur. Partager un petit manger avec ses proches crée une relation de connivence, on aime déjà celui qui nous permet cette complicité. Partager le pain, c’est partager l’essentiel, et l’essentiel passe par le ventre, le centre physique de l’homme. La vie, la fécondité habitent cet aliment.
Bien sûr, le geste a été repris depuis des siècles et chargé de son symbolisme religieux. «Il rompit le pain, le donna à Ses disciples…». Ce sont d’abord les partenaires et les camarades qui partagent leur pain, car il s’agit d’une intimité. Le compagnon n’est pas celui qui habite l’autre bout du pays ni qui se veut mon «ami» sur les réseaux sociaux, c’est celui qui est là, qui me fait face. Le pain partagé est le moment sacré de la réelle présence de l’autre, qui se voit immédiatement métamorphosé en compagnon.