/

Les quatre vérités de Jean-Marc Vaudiau

Mémoire associative

13 Sep 2023 | Les 4 vérités de Jean-Marc Vaudiau

C’est une évidence, pour se
rappeler, il faut oublier.

La mémoire associative est celle qui nous permet de retrouver, indépendamment de notre volonté, le temps passé. Ce temps n’est pas perdu, il est quelque part en nous et, à la faveur d’une sensation, il peut remonter à la conscience. C’est évidemment la grande leçon de Proust et de son chef-d’œuvre. Plusieurs épisodes de «La Recherche», dont le plus connu est celui de la madeleine, s’organisent autour de cette mémoire involontaire et du bonheur qui lui est associé.
Derrière la mémoire involontaire se dissimule toute une philosophie de la sensation, issue principalement d’Hyppolite Taine (XIXe s.) et de l’associationnisme. Cette doctrine, abouchée à la psychologie naissante de l’époque, place à l’origine du souvenir une sensation qui, par appel d’autres éléments connexes, révèle une totalité. Cette mémoire associative est enclenchée grâce à une odeur, un goût, une musique, une lumière, un lieu, une matière. C’est comme si, à partir d’un pareil événement, tout le fil du tricot de la vie se dévidait: on est projeté dans le passé, on quitte le présent, ou plutôt, c’est comme si le présent du souvenir nous habitait entièrement.
On approfondit ainsi ce qui a déjà été ressenti mais qui, comme un ancien parfum, s’est éventé au fil des ans. Le rôle de la sensation est ici primordial: si vous voulez pouvoir retrouver aisément un moment de votre vie, fredonnez une chanson durant que vous le vivez.
De fait, tout le monde a fait cette expérience de mémoire associative, et la littérature non moins que la poésie en témoignent largement. Il est donc difficile de vivre l’instant présent, parce que les infinies sollicitations de la vie nous poussent à quitter justement ce présent pour revivre le passé, pour l’épaissir.
Or, c’est une évidence, pour se rappeler, il faut oublier. Le phénomène de l’oubli n’est pas négatif; bien au contraire, il est précieux. L’oubli préserve le souvenir de la détérioration, et la mémoire permet de retrouver intacte la singularité de l’instant passé, en lui accordant un nouveau présent.