Les quatre vérités de Jean-Marc Vaudiau
Mauvaise transition
On excommunie à qui
mieux mieux, on jette
des anathèmes au lieu
d’argumenter.
Depuis que le débat a régressé en transitant de la sphère intellectuelle à la sphère moralisatrice, il n’est presque plus possible de conserver la sérénité nécessaire, et c’est bien là que le débat blesse. En effet, la controverse intellectuelle est la dispute entre le vrai et le faux. Les parties en opposition font chacune valoir leurs arguments, leurs contre-arguments, on se chamaille et puis on constate qu’il existe aussi des vérités dans la position de la partie adverse. Le débat moraliste est, lui, une discussion entre le bien et le mal. Or le basculement actuel est passé de «Est-ce que c’est vrai ou faux?» à «Est-ce que c’est bien ou mal?» et peu importe que ce soit faux, dès lors qu’on juge que c’est bien! On veut donc savoir si telle position sert ou dessert la cause qu’on défend. D’où l’affirmation absurde de «vérité alternative».
En transitant ainsi, on a radicalisé les controverses. Pourquoi? Parce que le bien, domaine de l’absolu qui ne supporte aucun compromis, a toujours tendance à ostraciser le mal, à le vouer à l’enfer. Les dépositaires du mal ne sont plus des adversaires, mais des ennemis qu’il faut éliminer; on ne transige pas avec le grand Satan. Il s’agit donc d’exclure les tenants du mal, et surtout de les interdire de parole, c’est-à-dire de les chasser du débat qui doit se cantonner aux génuflexions approbatives des gens de bien. Les innombrables interruptions (on pense aux intrusions violentes dans divers conférences ici et là) en sont les illustrations éclatantes. «Nous ne voulons pas discuter avec vous, nous voulons vous détruire, vous empêcher de parler, car nous n’écoutons pas ce que vous dites ni ne lisons ce que vous écrivez!».
On excommunie à qui mieux mieux, on jette des anathèmes au lieu d’argumenter, puisque les certitudes moralisatrices (et non pas morales) sont d’ordre religieux. La censure est chevillée à cette vision. Donc cette transition qui renonce à ce qui est vrai au profit de ce qui est bien chasse du débat tous les infréquentables qui méjugent l’opinion dominante de gauche, attachée au bien.