Les quatre vérités de Jean-Marc Vaudiau
L’ours blanc
Il semble qu’il soit possible
d’évacuer les souvenirs
pesants ou fâcheux en les
noyant au milieu d’autres
souvenirs…
Le désagréable a-t-il sa place dans nos vies? Le souvenir de ce qui nous perturbe, de ce qui nous alarme, occupe nos esprits plus souvent que nous le souhaiterions. Nous voulons chasser ces idées perturbatrices, mais l’expérience commune montre qu’il est difficile de se forcer à ne pas penser à des émotions fortes dont nous aimerions perdre la trace. Les mauvais souvenirs gâchent nos vies, gâchent nos nuits.
Dostoïevski disait: essayez de ne pas penser, par exemple, à un ours blanc et vous verrez que cet animal occupera votre esprit à chaque instant. L’image de cet ours blanc que nous combattons s’impose à nous, et il semble que parce que nous la combattons, elle est d’autant plus présente malgré nous. S’obliger à ne pas penser à une chose produit le plus souvent un effet contraire, et le passé nous assiège. Exercice inutile jusqu’à ce qu’on admette que le désagréable a bel et bien une place en nous. Mais pas toute la place évidemment.
Il semble qu’il soit possible d’évacuer les souvenirs pesants ou fâcheux, non pas en les supprimant, mais en les noyant au milieu d’autres souvenirs, en les diluant dans un espace intérieur plus vaste. Il ne s’agit pas de devenir amnésique à tout ce qui ne nous convient pas, car on perdrait en même temps le pouvoir d’exemplarité du négatif, mais d’alléger la douleur qu’on éprouve.
Il est ainsi possible de porter son attention sur le moment présent, grâce à des exercice simples et répétitifs qui ouvrent à une attitude d’acceptation de ce qui est déjà là. Mise au point il y a bien des années, cela s’appelle «la pleine conscience», dont le but est de prendre soin de soi. Elle permet, par l’entraînement, de développer une qualité de présence et d’attention, d’acquérir une plus grande stabilité corporelle et mentale et d’être plus conscient des schémas de pensée et de réaction. L’ours blanc n’est pas abattu, ni exilé dans un autre univers, il est accepté au milieu de la ménagerie de nos angoisses et de nos joies.