Les quatre vérités de Jean-Marc Vaudiau
Le temps des bouffons
A la place des grands fleuves
de mots, de la puissance des
œuvres, le petit gazouillis des
réseaux sociaux.
Il fut un temps où la littérature entrait dans le cœur des êtres humains, un temps où l’on enterrait un poète comme un grand de ce monde (Victor Hugo), un temps où les cloches des églises ou des cathédrales disaient à tous l’amour du peuple entier pour ses écrivains, pour ses légendes, pour ses personnages fictifs devenus des références réelles. Dans les romans, les journaux, les feuilletons des magazines, des histoires écrites avec talent fécondaient l’imagination des classes populaires comme celle des bourgeois. Depuis plusieurs décennies déjà, le cercle des poètes oubliés s’est agrandi, on a négligé la littérature comme ciment de notre culture. Après le temps des artistes est arrivé celui des bouffons, celui qui a vu sur la Seine la triste parodie orgiaque de la Cène à l’inauguration des Jeux Olympiques de Paris.
A la place des grands fleuves de mots, de la puissance des œuvres, le petit gazouillis des réseaux sociaux. Il est inutile de pleurer un monde disparu qui ne reviendra pas, car c’est peut-être dans ce gazouillis si populaire, si stupide parfois, si vide, si haineux aussi par moments, qu’un mince filet de voix en appelle à la dissidence, au refus, au sursaut: les livres ne sont heureusement pas morts ni tombés dans l’oubli, mais avec les réseaux sociaux, une génération nouvelle, plus libre, plus soucieuse de vérité, se lèvera et elle brisera la dégringolade du courage et de la mémoire. Une nouvelle génération, qui remplacera l’actuelle génération-flocon-de-neige qui fond au soleil de l’émotion et de la susceptibilité, une nouvelle lignée plus forte, lasse des anciennes querelles, indiquera une voie enlisée depuis longtemps, celle de la vie.
Dans notre société dévirilisée, bardée de règlements, d’interdits et de frivolité, on espère une génération qui rêvera à nouveau de courage et de soleils levants, tout en choyant l’idée que le lointain devient un prochain. Pour que la noria progressiste du camp du Bien meure et qu’ainsi s’éteigne le temps des bouffons.