Les quatre vérités de Jean-Marc Vaudiau
Le paradoxe de Tocqueville
Plus nous sommes égalitaires, plus nous sommes protestataires.
Plus une démocratie s’approche de l’égalité, du bien-être généralisé, des revenus corrects, de la tolérance, de la santé publique, plus la distance qui la sépare de ces buts lui paraît insupportable: tel est le paradoxe d’Alexis de Tocqueville, politicien du XIXe siècle. Autant dire que sa prophétie s’est largement vérifiée au XXIe siècle. Cela explique l’insatisfaction permanente et le ras-le-bol généralisé de tous: plus nous sommes égalitaires, plus nous sommes protestataires. Un exemple? Le racisme diminue de manière spectaculaire depuis vingt ou trente ans, mais le seuil de tolérance au racisme baisse encore plus vite, et on a ainsi l’impression que le racisme croît! Cette impression se voit encore amplifiée par les réseaux sociaux.
La mécanique de ce paradoxe est parfaitement déterminée et on ne peut pas la freiner. «Les hommes, écrit Tocqueville, ne fonderont jamais une égalité qui leur suffise. Un peuple a beau faire des efforts, il ne parviendra pas à rendre les conditions parfaitement égales dans son sein, et s’il avait le malheur d’arriver à ce nivellement absolu et complet, il resterait encore l’inégalité des intelligences».
Ce phénomène qui nous conduit aux frontières de la démocratie est aisément manipulable en politique, car le réel disparaît derrière la puissance du ressenti, qui le remplace. Le sentiment croissant d’injustice provient non tellement des réelles dissimilitudes que des micro-inégalités que l’abondance met en exergue. La marginalité est portée ainsi au centre des revendications, et nous entrons dans le mouvement woke que nous connaissons actuellement. Ce mouvement veut l’égalité, et de ce point de vue il a raison, mais en se fondant sur des inégalités résiduelles et hyper-minoritaires.
Nous avons fait reculer spectaculairement les injustices et nous vivons dans la société la moins inégalitaire de l’histoire, mais cette situation enviable féconde en son sein des revendications surréalistes qui multiplient les pseudo-victimes.