Les quatre vérités de Jean-Marc Vaudiau
L’avènement du meilleur des mondes est différé
On a mis les découvertes
scientifiques au service des
massacres.
L’idéal des Lumières avait été celui de rendre l’homme le plus autonome possible, afin de lui procurer la maîtrise de la nature et de la société par la compréhension. Le XIXe siècle s’est gavé de cet espoir. Victor Hugo écrivait: «On aura pour parlement le concile permanent des intelligences». Le meilleur des mondes allait advenir! Il éclorait sous la protection des progressistes. Mais ce naïf amalgame du connaître et du maîtriser a été brisé par le XXe siècle: le plus haut degré de discernement n’a pas induit les choix les plus avertis, dont deux guerres. Le savoir le plus fin s’est mis au service des massacres les plus affolants, et on n’a pas remplacé les guerres par de géniales découvertes. Au contraire, on a mis les découvertes scientifiques au service des massacres.
Le soleil de la connaissance n’a pas dissipé les grandes ombres de l’être humain; il brille d’un éclat trompeur et le rapport entre ce que l’homme sait et ce que l’homme fait n’a pas été éclairé de manière probante. La météo de notre condition de terriens est un brouillard épais. Cependant, la grande illusion demeure, profondément ancrée: on pense pouvoir dissiper ce brouillard à chaque avancée scientifique (clonage, manipulations génétiques, cellules souches embryonnaires, diagnostiques préimplantatoires, intelligence artificielle) mais chaque percée de la connaissance, parce qu’elle ouvre des portes multiples, augmente l’incapacité de prévoir les conséquences de l’action. Tout n’est pas calculable et la vertu ne va pas, comme le pensait Hugo, en ligne droite; elle prend des chemins plus sinueux, au bout desquels elle perd souvent la bataille.
Ainsi, la liaison du connaître et du maîtriser est apparue peu à peu au XXIe siècle sous sa véritable figure: un miroir aux alouettes. Faut-il pour autant mépriser le savoir et la recherche, faire planer sur toute connaissance l’ère du soupçon? Evidemment pas. Certes, le nihilisme est la tentation la moins illogique; l’époque y sombre souvent. S’en garantir est le propre de l’honnête homme.