Les quatre vérités de Jean-Marc Vaudiau
La mort à coups de marteau
Ce droit au passé est
aujourd’hui contesté par tout
une génération de foutriquets
inconsistants.
C’est à coups de marteau que la stèle de pierre du monument aux morts de Draguignan a été vandalisée voilà quelques semaines. Acte indécent et irrespectueux, certes, mais c’est beaucoup plus que cela: on retrouve ici le reflet assez exact de notre modernité, qui non seulement refuse l’histoire, mais encore œuvre à sa disparition. Il ne devra rien rester de l’ancien monde, tout doit disparaître. On solde! Sus au temps long! La mort du passé à coups de marteau! Cet attentat à la mémoire, Philippe de Villiers l’appelle «mémoricide», titre d’ailleurs de son excellent nouveau livre.
Un pays, c’est un passé d’abord, tout comme un être humain. Ce droit au passé est aujourd’hui contesté par tout une génération de foutriquets inconsistants. La volonté d’identité collective dans laquelle s’inscrit tout individu s’impose; elle pèse un poids réel. On n’est pas seul avec un pareil faix, on est associé à la narration de tout un pays, à des faits vérifiables, mais aussi à son imaginaire. Et nous vivons l’époque où cette charge est devenue insupportable à des esprits superficiels qui ont eux-mêmes décidé d’être librement ce qu’ils sont: des déshérités.
On nous invite à vivre à l’envers de nos pères, à l’envers de nos mères, de nos aïeux, afin d’effacer leur mémoire. Oublier le passé, c’est biffer l’idée même qui a fait naître nos sociétés, qui leur a donné leur impulsion de vivre et qui les promet ainsi à la disparition. Détruire le passé, c’est déclarer aux yeux des vivants sa honte d’avoir existé.
Danièle Salenave avait écrit un beau livre, «Le don des morts» (1991). Le legs des générations qui ont disparu, ce sont les livres d’abord, et ce sont aussi les légendes, l’imagination et ainsi la possibilité de trouver soi-même une place dans une communauté partagée. Les générations disparues, par leur action, sont les ingrédients essentiels de notre façon d’être humain, la hache qui brise en nous la glace de la barbarie. Détruire le passé au marteau, c’est ouvrir encore un peu plus largement la porte de l’inhumain.