/

Les quatre vérités de Jean-Marc Vaudiau

La colère des peuples

22 Mar 2023 | Les 4 vérités de Jean-Marc Vaudiau

L’époque du numérique a transformé la politique en créant une nouvelle figure bicéphale: le clown et l’ingénieur, les nouveaux rois du carnaval.

Ceux que Giuliano da Empoli appelle dans son essai (Editions Jean-Claude Lattès, 2019) «Les ingénieurs du chaos» sont ceux qui ont importé en politique le continent conceptuel de l’Internet. Leur seule ambition est d’augmenter leurs supporteurs; ils ciblent leur audience sans avoir besoin de définir une ligne politique claire, mais en se contentant d’attiser les passions. Tout ce qui marche auprès du public est bon. Le capital d’engagement ainsi créé est utilisé pour soutenir un candidat.
Il n’y a pas si longtemps, pour gagner une élection, il fallait développer une position conciliante, de manière à convenir à une majorité de votants. Aujourd’hui, les ingénieurs du chaos font le contraire: leurs propos, leurs propositions enflamment des groupes minoritaires, mais extrêmes, et ils espèrent ensuite faire converger tous ces groupuscules en ébullition afin de former une majorité.
Le livre de Giuliano da Empoli décrit quelques profils du monde contemporain. Ces hommes du chaos ne sont pas des spécialistes de la politique, mais de la communication, rompus au maniement des données. Cependant rien ne serait pour eux possible sans la colère d’une partie croissante de l’opinion publique. La colère a certes toujours existé en politique; aujourd’hui, elle n’est plus gérée, donc plus canalisée. En effet, les grandes idéologiques qui récupéraient la colère populaire, son insatisfaction, pour l’orienter vers des projets sociaux, voire spirituels, sont moribondes.
De nouveaux mouvements, hostiles aux élites comme aux partis politiques traditionnels, ont su capter cette colère, formidable énergie politique, grâce à une sorte de marketing efficace. Ils agissent en temps réel et tout se fait dans l’immédiat, comme les tweets de
M. Trump ou la dynamique des Gilets jaunes. Afin d’interpréter la mauvaise humeur populaire croissante pour la focaliser sur un candidat qui maîtrise le système, les réseaux sociaux sont essentiels: ils permettent d’humilier les puissants.
L’époque du numérique a transformé la politique en créant une nouvelle figure bicéphale: le clown et l’ingénieur, deux facettes souvent dans les mêmes personnages, qui sont les nouveaux rois du carnaval.