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Les quatre vérités de Jean-Marc Vaudiau

Il y a quarante ans, Aragon

25 Jan 2023 | Les 4 vérités de Jean-Marc Vaudiau

Les vers d’ Aragon s’obstinent dans les mémoires. Il est décédé il y a quarante ans, mais il n’est pas mort.

Le poète d’«Elsa» a su faire oublier l’insolent surréaliste qu’il était, avant de prendre les habits insolites du patriote communiste de la Libération, qui céda dans divers discours de circonstance à la facilité de son art d’écrire. Aujourd’hui, Louis Aragon est avant tout le poète de l’amour, cette passion pour Elsa Triolet qui fut sa compagne et sa muse.
Aragon est prodigieusement doué, il a trop de facilité à écrire et il est trop clairvoyant pour ne pas remarquer qu’il a souvent donné dans l’excès déclamatoire, qui semblait parfois trahir la sincérité de cet amour pourtant authentique. Le côté par moments théâtral de ses poèmes, magistralement chantés d’ailleurs par un Léo Ferré ou par un Jean Ferrat, l’ont poussé, pour combler le décalage, à exagérer sa passion amoureuse, à la hisser au niveau de son style. C’est pourquoi d’aucuns ont considéré Aragon comme un faiseur. L’aimer rassortissait pour eux au mauvais goût. Ils ont tort.

«Suffit-il donc que tu paraisses
De l’air que te fait rattachant
Tes cheveux ce geste touchant
Que je renaisse et reconnaisse
Un monde habité par le chant
Elsa mon amour ma jeunesse»

Ses mots nous cueillent comme la foudre et nous introduisent dans le mystère de l’inspiration. Derrière les vers, on entend une musique qui relève d’une curieuse magie. Il suffit de tendre l’oreille et voilà qu’en nous un mouvement se met en branle. Sa vision tragique de l’amour fait de lui un auteur plus classique que romantique: l’amour advient à l’amant sans le lui demander et tout, pour lui, serait plus simple s’il n’aimait pas. «Connais-tu le malheur d’aimer?», demande-t-il.
La virtuosité de l’écrivain ne se réduit pas à une affaire de surface. Sinon, il aurait fait long feu! Au contraire, beaucoup de jeunes amants du siècle passé l’ont tenu pour un compagnon de route essentiel; il était là, comme un grand prêtre des mots, qui veillait sur leur amour à eux et en magnifiait l’existence. Ses vers s’obstinent dans les mémoires. Il est décédé il y a quarante ans, mais il n’est pas mort.