Les quatre vérités de Jean-Marc Vaudiau
Grand Jacques
L’Europe est devenue le seul
continent dans lequel on prétend
pénétrer de force et cela ne
suscite aucune réaction…
Jacques Attali vient de déclarer que l’Europe était une passoire aux produits étrangers, aux investissements étrangers. Il le regrette. Il peut ajouter qu’elle est une passoire aux immigrés aussi. Lui qui fut le chantre de la mondialisation, du marché libéré de toute contrainte étatique, devant la catastrophe de Lampedusa, devant l’invasion de quartiers entiers des grandes villes, il se rend désarmé à l’évidence. Ce qu’il a défendu bec et ongles durant des décennies, voici qu’il le renie. L’Europe, son Europe, ne fonctionne pas: les gens n’ont aucune envie de métissage, aucune envie d’insécurité, aucune envie d’être remplacés par d’autres. «L’action de la frontière est essentielle», déclare fort justement Attali. Régies Debray l’avait déjà prôné il y a plus de dix ans. Il ne s’agit pas d’être de gauche ou de droite pour vouloir demeurer soi-même au sein de son pays.
Or une frontière, si elle n’a pas à être une passoire, ne doit pas se montrer un mur non plus: d’un extrême il ne faut pas sombrer dans l’autre. Une frontière doit être une écluse, qui autorise le passage de certains et condamne celui d’indésirables. Or c’est à chaque pays de commander le mécanisme de l’écluse et non pas à une Europe problématique, mal dirigée et peu crédible dont on commence à mesurer clairement l’échec.
Accueil et seuil vont de pair. Lorsqu’on accueille des gens, ils franchissent un seuil et, après s’être essuyé les chaussures, demandent l’autorisation d’entrer: chez l’autre, je ne suis pas chez moi. Or l’Europe est devenue le continent, le seul continent d’ailleurs, dans lequel on prétend pénétrer de force et cela ne suscite pas de réactions autres que des plaintes. Il existe des effets pervers de la frontière, elle peut féconder un nationalisme guerrier, c’est vrai, mais les effets de l’absence de frontière sont pires. C’est ce que dit Jacques Attali. Si on ne peut plus parler de nation parce qu’il existe des nationalistes obtus, si on ne peut plus parler de l’identité parce qu’il existe des identitaires forcenés, alors c’est la censure qui domine et donc la paralysie qu’on connaît aujourd’hui.