/

Les quatre vérités de Jean-Marc Vaudiau

De l’église au musée

13 Avr 2022 | Les 4 vérités de Jean-Marc Vaudiau

La réelle présence du tableau, comme on allait se prosterner dévotement devant les reliques des saints, semble oindre le spectateur d’une huile d’authenticité.

Depuis quelques décennies, à mesure que les églises se vident, les musées se remplissent. Il s’agit d’une sorte de vases communicants, on transite d’un sacré à un autre. En effet, les grandes œuvres d’art exposées dans nos galeries – on songe bien sûr à ces tableaux ou à ces sculptures qui aspirent les foules dans les musées occidentaux – ont atteint une dimension sacrée. Il convient donc d’aller les contempler en une sorte de pèlerinage laïc, comme il fallait jadis se rendre à la messe ou au culte, en famille le plus volontiers. Une obligation presque morale s’est établie.
Ce qui a évolué dans la muséologie moderne est la gestion du flux: il s’agit de régler la déambulation des visiteurs, de sorte que la promenade se fasse avec le plus de fluidité possible; on marche dans un récit, on s’arrête un instant, on se laisse pénétrer par la beauté de l’œuvre, puis on reprend sa marche comme jadis on suivait le long des murs de l’église les tableaux de la passion du Christ. Le même silence ouateux, la même dévotion; seul le bruit des pas s’élève dans les salles où l’on marmotte d’approbation.
Car il s’agit d’abord de retrouver l’authenticité, de lui faire face. Tout le monde a déjà vu mille fois La Cène ou La Joconde avant d’aller au Louvre voir La Joconde. Mais alors, pourquoi y aller? La réelle présence du tableau, comme on allait se prosterner dévotement devant les reliques des saints, semble oindre le spectateur d’une huile d’authenticité. Personne ne serait capable de remarquer qu’il pourrait s’agir d’une copie, car la conviction de l’authenticité suffit. A part que si vous allez voir La Joconde, massé dans la foule compacte, vous n’apercevez derrière la vitre blindée que le reflet des touristes qui se pressent.
L’art éternel semble répondre à notre besoin de sacré; il occupe une place de choix dans notre monde désenchanté et fade, il a un lieu, des rites, des adorateurs patentés, des livres, des guides et des grands prêtres, mais l’art n’a pas mission de salut des âmes.