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Les quatre vérités de Jean-Marc Vaudiau

Conséquentialisme

18 Déc 2024 | Les 4 vérités de Jean-Marc Vaudiau

Mandeville dénonce les
mobiles inavouables
qui se cachent le plus
souvent derrière la prétendue
morale.

Le scandale qu’il avait provoqué au XVIIIe siècle ne s’est jamais dissipé sur Bernard de Mandeville, condamné en 1723 pour avoir publié sa fameuse «Fable des Abeilles». Bernard de Mandeville? Peu de gens connaissent son nom et les écrits de cet original britannique dorment dans l’enfer des bibliothèques.
Il s’agit, avec cette «Fable des Abeilles», d’une sorte de parabole de la vie sociale: la ruche est riche et florissante aussi longtemps que les abeilles ne se convertissent pas au Bien généralisé, ni à l’épargne ou au bon sentiment. Elle prospère tant que le bien commun n’est pas au centre de ses préoccupations et aussi longtemps que l’égoïsme l’emporte sur l’obligation du partage. Or certaines abeilles, rongées par la culpabilité de mener une vie dissolue, décident d’observer une conduite vertueuse; elles entraînent les autres et sitôt que la ruche s’assagit, devient économe et tempérante, la prospérité s’effondre et la richesse périclite. Les pulsions maîtrisées, un linceul la recouvre. La leçon est claire: il existe pour l’homme une sorte d’incompatibilité entre la morale et la prospérité; la vertu conduit à l’infortune. Et l’oreille alertée croit ici entendre Sade: prospérité du vice, mes bons amis, prospérité du vice!
Mandeville s’est attiré beaucoup d’ennuis et de solides ennemis; on l’a surnommé «Man Devil», l’homme-diable. Forcément: il dénonce les mobiles inavouables qui se cachent le plus souvent derrière la prétendue morale, il arrache les masques du consensus mou, il fustige les adeptes du trémolo émotionnel! En 1724, il aggrave d’ailleurs son cas en défendant les bordels et en faisant l’apologie des maisons de joie.
J’avais médité cette forte remarque d’un procureur: «Si tu veux la prospérité économique, tu veux la drogue!». Pourfendeur des ligues de vertus et des assermentés du Bien, Mandeville n’aurait pas été mieux traité en notre XXIe siècle, car il juge une action bonne ou mauvaise à ses seules conséquences. Il se serait fait lyncher sur la place médiatique au nom du bien commun et des principes moraux.