Les quatre vérités de Jean-Marc Vaudiau
C’est la fête!
Tout ce qui désormais ne
ressemble pas à un conte n’a
plus droit de cité.
On a à peine eu le temps de souffler que la torture des féeries reprend! Dès fin octobre, les grands magasins ont commencé à sortir leurs marchandises de Noël. Les premières guirlandes, les décorations, les chocolats apparaissent ici et là, peu après qu’on a rangé les invendus d’Halloween et avant qu’on dispose en rayons les bombes de Saint-Sylvestre, avec un avant-goût de Saint-Valentin puis de Carnaval, qui ne saurait tarder. Guirlandes clignotantes, affiches fluorescentes, mas-ques et bergamasques, strass et paillettes, les boules multicolores sous les néons des vitrines. L’égalité par la gaieté!
Parce que chez nous, la fête est permanente, elle dure du premier janvier au trente et un décembre. Il faut faire la fête, tout le temps et partout; cela va de pair avec le projet de s’éclater, de surfer, d’être en mouvement. «Le monde bouge. Pas vous?», interroge une publicité qui sait comment capturer les nigauds. On organise des fêtes avant le travail, des after-work, des fêtes en rase campagne, au bord des autoroutes, des rave parties, des fêtes de quartiers, d’associations, des fêtes de la musique, des fêtes d’entreprise, des fêtes de la poésie, des fêtes du sport, des fêtes de la fête; Homo festivus triomphe tous les jours de l’année. L’hyperkinésie le pousse à se brancher à toutes les bornes festives. Pas de repos pour le stakhanoviste du plaisir calibré. Et la terreur s’installe: c’est tous les jours Noël.
Tant et si bien d’ailleurs que ce qui a la chance d’échapper au délire panfestif conserve un peu de son pouvoir sacré. Curieusement, pas de fête de l’amitié, pas de fête de la brume sur le Rhône, ni de festival de la version latine. Quelques zones comme celles-là, miraculées, échappent à la destruction.
Mais tout ce qui désormais ne ressemble pas à un conte n’a plus droit de cité. Le bon sentiment est obligatoire au réveillon de l’avenir. C’est que la fête et le bonheur s’identifient. Et la principale victoire du père Noël est d’être arrivé à nous faire croire qu’il n’existe pas.