Carpe diem!

Le très fameux conseil d’Horace, Carpe diem, qui est depuis l’Antiquité une exhortation à vivre, à se méfier de la nostalgie du passé ainsi que de la fuite incertaine dans le futur, souhaite sagement nous faire habiter le présent. Non pas pour en jouir de manière effrénée, en se fichant du monde et des autres, mais au contraire il s’agit plutôt d’une ascèse qui pousse à se contenter de ce qu’on a. L’homme heureux se contente de ce qu’il a, sans regret et sans jalousie. Et si, en plus il se contente de peu ou de ce qui facile à obtenir, personne alors ne pourra le lui enlever. Seulement voilà: la théorie est aguichante, mais comment vivre au présent? Tout fuit, tout passe, tout meurt. L’instant a ceci de particulier qu’on ne le saisit pas, il s’évanouit sitôt qu’on le regarde. Pratiquement, admettez que rares sont les moments où nous avons réussi à vivre pleinement l’instant présent; la plupart du temps ce fut fortuit, c’est arrivé comme un cadeau miraculeux alors qu’on ne s’y attendait pas. Une sorte de bulle fragile qui ne dure pas. Aucun exercice d’ailleurs ne nous assure qu’on habitera le présent sur commande. La sagesse consiste à se méfier des recettes, y compris celle du très individualiste Carpe diem! Car dès qu’on veut vivre heureux, on découvre que notre bonheur dépend des autres, notamment de ceux qu’on aime ou de ceux qui comptent pour nous. On a beau vouloir se focaliser sur le présent, écarter le passé et le futur, dynamiser l’instant – ce qui demeure nécessaire mais pas suffisant – l’état du monde qui nous entoure intervient, et cet état ne dépend pas souvent de nous. Lorsque les nôtres souffrent, on vit difficilement l’instant lumineux! Savourer le présent est un voeu pieu lorsque les conditions s’y opposent. Il existe évidemment des gens qui ne sont pas doués pour le bonheur, qui nécessite une certaine dose d’inconscience, de distance. L’homme sans prise de distance est un écorché vif. Une vie heureuse est un mélange complexe de distance, de chance et d’oubli.