Les quatre vérités de Jean-Marc Vaudiau
Art: liberté et contrainte
Jusqu’où peuvent aller les exigences d’un créateur de talent dans la manière
de traiter le personnel qui travaille à la réalisation de sa création?
Krystian Lupa, prince du théâtre européen, aurait dû signer l’événement de la saison de la Comédie de Genève, un spectacle inspiré du roman de W.G. Sebald. Ce spectacle a été annulé et, par un jeu de dominos, l’annulation s’est répercutée sur les plus prestigieuses scènes de France. Les techniciens n’ont plus voulu travailler avec un metteur en scène tyrannique et colérique, semble-t-il.
Quoi qu’il en soit, la direction de la Comédie a jugé que la défense de valeurs fortes au sein du théâtre n’avait pas été respectée et elle a pris la décision finale.
Une question demeure: jusqu’où peuvent aller les exigences d’un créateur de talent dans la manière de traiter le personnel qui travaille à la réalisation de sa création? Lors de répétitions d’orchestres, on a vu le chef humilier des musiciens qui ne parvenaient pas à produire ce qu’il attendait d’eux. Lors d’opéras, on a vu des chefs de chœur se faire houspiller par le chef d’orchestre au motif que la préparation ne lui convenait pas. Des désaccords sont fréquents lors de ces créations artistiques, qui demandent une soumission à une vision de l’art. Les tensions sont légion dans ces domaines. La question est de savoir jusqu’où elles sont légitimes.
Il est possible que par le passé, artistes et autres collaborateurs de spectacle aient dû accepter d’être mal traités par un metteur en scène excessivement exigeant, au point de rendre toute relation difficile. Aujourd’hui, ces méthodes de jadis passent moins bien, et pourtant, les équipes techniques des grandes institutions artistiques en ont vu de toutes les couleurs au fil des ans. La liberté artistique exige des contraintes, des remises en question, des prises de bec, mais certaines limites – des limites humaines en l’occurrence – ne peuvent pas être dépassées sous peine de rupture.
D’un côté, on comprend avec René Char que «Dans nos ténèbres, il n’y a pas une place pour la beauté. Toute la place est pour la beauté»; d’un autre côté, le respect doit être assuré, et tant pis pour les conséquences.