Les quatre vérités de Jean-Marc Vaudiau
Admiration
Dans notre époque de dénigrement systématique, de peur d’être dupe et de culte de la laideur, toute approbation se confondant avec l’adhésion au passé est soupçonnée de «ringardise»
«Admirez d’abord, vous comprendrez ensuite!», conseillait Gaston Bachelard à ses étudiants de la Sorbonne. L’admiration est un sentiment composé d’étonnement, de plaisir et d’approbation devant ce qui est beau, bon ou grand. C’est la rencontre d’un objet ou d’un être tenu pour supérieur à soi, devant lequel on éprouve une sorte de respect et d’attirance. On veut s’approcher de ce qu’on admire, dans un élan qui n’est pas encore critique, qui ne fait pas la part des choses.
Mais la véritable admiration n’implique pas pour autant une attitude superficielle d’approbation béate, un manque de lucidité propre aux «fans», une absence d’esprit critique devant les situations qui se présentent à nous. Toute admiration est une reconnaissance de la «hauteur» et je tends à penser – avec Bachelard – que cette attitude est plus que nécessaire. Dans notre époque de dénigrement systématique, de peur d’être dupe et de culte de la laideur, toute approbation se confondant avec l’adhésion au passé est soupçonnée de «ringardise», alors que seule fait loi, pour l’opinion commune, une posture de refus afin de suivre la mode qui exige le nivellement.
Bachelard semble penser que l’admiration est la propédeutique à la compréhension. Donc, en ce sens, elle est nécessairement ouverture d’esprit, puisqu’elle dispose l’intelligence à comprendre; il existe quelque chose de fortifiant en elle. Il faut savoir s’émerveiller, voir le monde avec un œil neuf, pour pouvoir par la suite le comprendre et même l’expliquer. On aime d’abord, on comprend ensuite, puis – et c’est là tout le mystère de ce qui nous dépasse – on revient à l’objet admirable. Il nous apparaît alors augmenté de ce qu’on en a compris, car il ne s’épuise jamais dans l’explication qu’on en donne. L’œuvre d’art en est l’exemple le plus manifeste: la grande œuvre est celle qui ne tarit jamais en nous la source d’admiration sans cesse jaillissante, la faim qu’on a de la fréquenter: «Donnez-vous aujourd’hui notre faim quotidienne!».