Un orchestre symphonique professionnel tel que l’OSR tient du prodige et du soutien de mécènes, d’institutions publiques et privées.

/

CULTURE - Un hommage mérité

L’OSR, alerte centenaire

15 Fév 2023 | Culture, histoire, philosophie

Si Genève est connue pour accueillir de nombreuses institutions internationales, elle n’en demeure pas moins une ville où la culture est très présente depuis longtemps. Et ce n’est pas un hasard si l’idée de créer un orchestre rayonnant sur l’ensemble de la Suisse romande est née à ici. Le mélomane André Piguet raconte la geste de cet Orchestre que l’on a coutume d’appeler par ses initiales, OSR, dans un ouvrage très documenté intitulée «L’OSR: une histoire insoupçonnée». Levons donc tout soupçon sur les débuts de cette prestigieuse et centenaire phalange musicale!

Des milliers de concerts à son actif, un public fervent, une riche discographie, une large et méritée reconnaissance internationale, un partenariat organique avec le Grand Théâtre, des appuis convergents confirmés dans le temps: l’Orchestre de la Suisse romande, que les afficionados nomment respectueusement l’OSR comme l’on dit l’ONU, la SSR, la BCGE ou le JIM, paraît inébranlable, tant il fait partie du paysage culturel suisse romand et genevois. Toutefois, la vie d’un orchestre est un miracle permanent, une lutte de tous les jours.
C’est ce que dévoile et raconte brillamment le mélomane et membre de plusieurs organes de l’OSR André Piguet, dans un livre qui vient à point nommé décrire un siècle d’existence de cet orchestre romand né au lendemain de la Première Guerre mondiale. Un siècle de combats, de succès éclatants, d’impasses, de défis nouveaux. «Aider à comprendre comment l’embarcation OSR s’est faufilée, pendant un siècle, entre les écueils», tel est le propos de celui qui nous offre un panorama très riche de l’histoire de l’OSR.

Un contexte genevois favorable

Un orchestre symphonique ne naît pas de rien, ni nulle part. Il est le produit des singularités d’un territoire et d’un contexte: «Si nous nous attardons sur la création de cette singularité qu’est l’orchestre symphonique, c’est bien pour montrer qu’il ne germe puis ne prospère que dans un certain terreau et qu’il résulte de nombreuses convergences», affirme André Piguet. Aberration économique – la recette du concert d’une salle comble est au bas mot quatre fois inférieure à son coût -, un orchestre symphonique professionnel tel que l’OSR, même dans une grande ville comme Genève, tient du prodige et du soutien de mécènes, d’institutions publiques et privées, comme de l’élan initial donné à une telle aventure humaine et culturelle.
Genève offre un terroir musical propice: elle le doit d’abord au Conservatoire, fondé en 1835 grâce au mécénat de François Bartholoni, et qui précède ceux des autres grandes cités suisses. Il comptera ainsi Franz Liszt comme professeur. Puis elle possède plusieurs salles de concerts: le Grand Théâtre, qui ouvre ses portes en 1879, et le Victoria Hall, universellement considéré en raison de son acoustique miraculeuse comme un temple de la musique classique, dont la première pierre a été posée en 1891.

La fondation et les années
Ansermet

A l’été 1917 se tient à Lausanne une séance au cours de laquelle il est décidé de créer un orchestre symphonique romand. C’est sous la présidence du Genevois Maurice Pictet de Rochemont que les délégués romands ont charge de trouver la formule magique et de jeter les bases d’un orchestre durable. Parmi plusieurs candidats, c’est Ernest Ansermet qui est choisi pour diriger cette nouvelle phalange de 62 musiciens. «Entretenant contact avec les avant-gardes, défenseur privilégié de l’œuvre de Debussy, il a multiplié les premières auditions de compositeurs helvétiques, français, russes. A Paris, Ansermet est quotidiennement attablé chez Diaghilev, en compagnie de Stravinski, Ravel, Cocteau, Bakst, Satie, Picasso…», rappelle André Piguet. Le concert inaugural a lieu le 30 novembre 1918 au Victoria Hall. André Piguet relève au sujet du premier public de l’orchestre, peu démonstratif: «Les mélomanes genevois sont certes d’excellents connaisseurs, mais, encore enserrés par le calvinisme, ils donnent l’impression de venir au concert pour s’en libérer». Ernest Ansermet dirigera l’OSR jusqu’en 1967, donnant une couleur reconnaissable entre toutes à l’orchestre.
André Piguet narre dans la suite de son ouvrage très complet – y figure notamment une liste des artistes ayant marqué l’OSR, véritable who’s who de la musique classique du XXe siècle – les principaux événements intervenus et surtout la belle liste des successeurs d’Ansermet, parmi lesquels il faut citer Armin Jordan, qui marqua l’OSR de sa grande sensibilité et précision. Les liens anciens de l’OSR avec Radio Genève et la Radio suisse romande sont aussi largement évoqués, tant ils font partie de la riche histoire de l’OSR, que résume ainsi André Piguet: «Chemin semé d’embûches que celui qu’a connu l’OSR, mais également épopée jalonnée de succès éclatants. Un siècle d’incertitudes et d’impasses financières, de stratégies tâtonnantes, de reformulations destinées à gagner le public».

 

Laurent PASSER

«L’OSR: une histoire insoupçonnée»,
par André Piguet. Editions Slatkine.