A ne pas confondre avec celui de Guy Vallancien au titre voisin, mais sur la médecine numérique.

/

Le médecin est-il de trop?

19 Avr 2023 | Culture, histoire, philosophie

La modernité a un peu vieilli depuis son invention du temps des révolutions industrielle et politique. Mais pour sauver sa peau face aux peuples déçus, elle s’accroche aux cornes de deux vaches sacrées: la santé et l’école. Pourtant malgré des moyens sans limite, la promesse d’immortalité et d’omniscience marche à reculons. On parle souvent de la crise de l’éducation dans ces pages, et les récents virus ont monté le public contre la médecine officielle. Est-ce à dire que la santé – tout comme l’école – souffre d’un vice «systémique»? En tout cas, même des «mandarins» cherchent désormais des solutions radicales.

Peut-il y avoir de médecine sans médecins? Ça sonne absurde, et pourtant nombre de métiers de haut vol – banquiers, traducteurs, journalistes, juristes, voire artistes – ont été mis au tapis par le savoir «en ligne» qui coule de la source à la bouche sans besoin de «metteurs en bouteille» en entre-deux. Pour l’instant, le professeur et le médecin tiennent mieux le coup: parce que leur savoir passe encore plus haut, ou parce qu’ils sont protégés par la loi… la question reste ouverte. Encore ouverte mais guère posée: l’Organisation mondiale de la santé – qui fête (avec tambours et trompettes… au Victoria Hall) ses trois quarts de siècle et vient de parler des «ressources humaines» à son siège des Nations pendant trois jours – n’a jamais eu un mot contre le corps médical et ne voit d’autre «progrès» que la hausse des budgets. Pourtant, même des médecins haut gradés commencent (sans bruit) à avoir des doutes. On l’a vu cet hiver lors d’un débat sur l’«assistant(e) clinique» ou «physician associate»: nouvel échelon dans la hiérarchie des métiers de la santé, entre l’infirmier/ère et le docteur en médecine.

Rue Claude Bernard ou impasse du Bourreau des Chiens?

On ne va pas entrer dans le détail de cette révolution annoncée: tout ce qu’on pourrait dire ici se trouve dans la séance filmée qui s’est tenue à l’Hôpital début février (hug.ch/evenement/conference-assistant-es-cliniques-role-perspectives); mais on peut faire un rappel des hauts et des bas du mandarinat. Le médecin n’a pas toujours joui d’un énorme prestige: au début, son savoir était au mieux perçu comme magique, au pire comme frimeur (Molière ne dirait pas le contraire). Mais même à l’âge d’or du savant moderne, à y regarder de près on voit pas mal de ratés dans la santé: Louis Pasteur et Ignace Semmelweis ont eu le corps médical contre eux, Claude Bernard et Cesare Lombroso ont accouché de théories ignobles et mises à nu depuis (sans qu’on change encore le nom de leurs rues aux quatre coins de l’Italie, de la France et même du Maghreb). Quant à l’image du grand coq au sein du poulailler des infirmières, elle a encore une réalité… malgré la promotion féminine dans la profession.

La bonne santé du flocon sucré

Le récent Festival Histoire & Cité a permis de revoir le film – très romancé – sur la vie du docteur Kellogg (celui des flocons de maïs). S’y étalent toute la splendeur et toutes les dérives du mandarin sanitaire. On peut dire de la médecine ce qu’on dit parfois de la publicité: «La moitié, c’est de la frime, mais pas facile de savoir quelle moitié». Dans le film, on voit les meilleurs principes de diététique ou de gymnastique s’entremêler avec les théories les plus ridicules et les pratiques les plus condamnables, le tout sous un permanent abus d’autorité. Mais la science peut-elle avancer autrement, et lorsqu’elle croit avoir conquis des savoirs d’utilité publique, peut-elle les faire valoir sans péché d’autorité?

Mieux vaut l’original… sorcier?

Au fond, peut-on éviter que chacun joue son rôle: celui du «docteur» est d’être docte, malgré le jeu à la mode d’une modestie du médecin qui minaude face au patient. Et celui du public est de se venger, par toutes les lubies «parallèles» ou «naturelles» possibles ou par la défiance frondeuse «antivax». Pendant ce temps, la médecine avance surtout par son «ingénierie» – l’imagerie, la génétique – plus que par les campagnes conjointes des Ministères de la santé et des journalistes scientifiques. Tant que les albinos n’en font pas les frais – au Sud, ils sont encore victimes des «recettes de grand-mère» – cet équilibre de la terreur entre l’arrogance scientifique et l’obscurantisme populaire peut encore tenter de faire ses preuves. Mais ne pourrait-on rapprocher les deux cultures en faisant de la médecine une branche scolaire dès le primaire? Est-ce une «fausse bonne idée» ou une «chasse gardée du docteur»? En tout cas, on discute peu la question, même dans l’immensité du web (cairn.info/revue-carrefours-de-l-education-2011-2-page-105.htm).

 

Boris Engelson