Immeuble parisien conçu comme une grande charpente élevée au-dessus d’un faisceau ferroviaire.

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Spécial énergie - Séminaire ciblé de Wüest Partner

La surélévation en bois: la carte à jouer

15 Nov 2023 | Culture, histoire, philosophie

Dans le match entre crise climatique et crise du logement, la densification verticale en bois est loin d’être une stratégie de niche depuis que la réduction du bilan carbone dans le secteur du bâti est devenue une priorité absolue. Source de création architecturale et de logement, la surélévation participe également de la revalorisation de l’immeuble. Tour de la question avec les experts de la construction réunis récemment à Genève par Wüest Partner. Une manifestation soutenue par l’Office fédéral de l’environnement.

Densifier n’est pas suroccuper, mais optimiser les espaces disponibles. Pratique ancienne, du temps où les villes moyenâgeuses encerclées de remparts se construisaient sur elles-mêmes, la surélévation freine l’étalement périphérique comme l’artificialisation des sols et fait face à la raréfaction du potentiel constructible; elle gagne une nouvelle actualité, portée par le défi environnemental. Alors que pour surélever, l’emploi du béton apparaît rédhibitoire en raison de son bilan carbone élevé, de la pression sur les fondations, de l’énergie employée dans la construction et du temps de chantier, le bois constitue désormais une piste offrant des avantages non négligeables.
Alternative à la démolition-reconstruction systématique, l’élévation en bois participe de la requalification du bâtiment et au financement de sa rénovation énergétique. Tels sont les points forts relevés par les architectes et artisans du bois réunis début novembre à Genève par Wüest Partner. Une manifestation menée en coopération avec la revue «Tracés» d’Espazium, éditeur spécialisé dans la culture du bâtiment. «La Suisse produit quelque dix millions de mètres cubes de bois par année, dont plus de la moitié sont valorisés dans la construction des bâtiments», a rappelé Claire-Lise Suter, directrice du Plan d’action bois de l’OFEV, concentré prioritairement sur la valeur ajoutée du bois suisse et la construction respectueuse du climat, notamment impliquée dans les transformations et rénovations qui sont en hausse constante.

Architecture et environnement

«Le bois implique un changement de culture et bouscule les habitudes de toute la filière», relèvent les architectes de l’agence parisienne Parc, dont le récent ouvrage «L’architecture comme environnement» (Editions Park Books) constitue une réflexion holistique sur l’acte de projeter une construction durable sous l’angle de son rapport à l’homme et à son territoire. Comme l’a rappelé Marc Frochaux, rédacteur en chef de «Tracés», Genève s’est montrée pionnière en 2008 en instaurant une loi sur la surélévation inscrite dans l’idéologie de la ville dense et compacte». L’objectif était simple: résoudre la crise du logement. La pratique s’est révélée plus problématique avec des coûts élevés de construction, des choix esthétiques douteux et des difficultés majeures en termes d’urbanisme.
Depuis dix ans, les nouvelles règles d’application rendent l’exercice de surélever plus exigeant, via une méthode d’évaluation des requêtes en autorisation de construire (Méthode A.B.C.D.) destinée aux services et commissions concernés, ainsi qu’aux architectes. «Les projets s’inscrivent ainsi dans un contexte culturel qui prend en considération le paysage urbain: le quartier, l’îlot, le groupe d’immeubles, la physionomie de la rue ou de l’espace public et l’immeuble lui-même». Rappelons toutefois que la surélévation, à Genève notamment, suscite encore des controverses engendrées par les difficultés d’application de la LCI (lois sur les constructions et installations diverses) et sa marge d’interprétation.

Une solution complexe

Si la transition écologique focalise aujourd’hui la discussion sur la construction en bois, la conception et la réalisation des rehaussements soulèvent pourtant leur lot de questions: techniques, économiques, règlementaires, urbanistiques et architecturales. Directeur général de l’entreprise vaudoise André SA, Christian Eggenberger décline les avantages du bois, en artisan convaincu et passionné: «Les moyens d’assemblage permettent souvent une grande rapidité de montage ou d’édification et permettent la réalisation de chantiers ‘à sec’, ce qui réduit d’autant leur durée et certains de leurs inconvénients. S’y ajoutent le confort hygrométrique et acoustique, le faible encombrement de l’isolation thermique et la possible utilisation du matériau sur toute la ligne: structures porteuses, charpente, revêtement extérieur et intérieur».
D’un autre côté, l’orateur signale les contraintes de mise en œuvre dans les bâtiments habités et les difficultés d’accès pour les chantiers urbains, à l’exemple de la surélévation d’un immeuble classé des années 1930, avenue de Floréal 12-14 et rue Voltaire 7, à Lausanne. Au plan technique, cette dernière a nécessité la construction d’une ossature métallique primaire reportant les nouvelles charges sur les fondations. Le spécialiste souligne par ailleurs que la préfabrication en bois devrait pouvoir inclure simultanément les fenêtres, les stores et les revêtements intérieurs, «ce qui permettrait de simplifier et raccourcir les temps de montage». Certains architectes évoquent aussi le délicat exercice de coordination entre les différents corps de métier, tels les bétonneurs et les charpentiers.

Le béton pas toujours obligatoire

Au-delà de la surélévation, la construction en cours d’un immeuble parisien de 80 logements sur dix étages conçu par Parc Architectes démontre que la structure en béton n’est plus une fatalité. Sur un îlot commun à l’antenne européenne de l’Université de Chicago, l’ouvrage en bois habilement élevé au-dessus des voies ferrées revisite les principes constructifs traditionnels. Habillé de terre cuite, le projet qui englobe une gare est élaboré comme une grande charpente. Sa conception tramée le rend recyclable, adaptable et résiliant à tout type de programme.
Il a fallu étudier des astuces techniques. Le résilient acoustique réduisant la transmission des énergies vibratoires a été résolu par la désolidarisation de parties de l’immeuble et des planchers de plus de 50cm d’épaisseur. Les plaques coupe-feu en laine de roche optimisent également l’isolation phonique. «Propres à relever les défis environnementaux, la maturité de la construction en bois et les caractéristiques du matériau peuvent rivaliser avec le béton», concluent en substance les architectes parisiens. «Selon les projets, des stratégies de mixité de matériaux doivent être définies, la finalité étant de concevoir des performances structurelles et répondre à des enjeux architecturaux précis». Dans ce contexte, ils ont opté pour l’hybridation du bois et du métal.
Autre ouvrage à ossature bois, le lotissement de trois immeubles de logement «Les Portes de Bulle», projeté en terres fribourgeoises par Deillon Delley Architectes SA, présente également des avantages concurrentiels pour les locaux commerciaux et les bureaux. Prix de l’Immobilier romand 2022, catégorie «logements locatifs en marché libre», le projet, harmonisé avec le fort développement du contexte bâti environnant, constitue un îlot ouvert, enjeu majeur du quartier. Un couronnement de deux niveaux et de larges ouvertures, modulées selon les affectations, rythment les façades où le bois s’exprime en combinaison avec des panneaux en alu.

Surélévation d’un immeuble classé des années 1930, avenue de Floréal 12-14 et rue Voltaire 7, à Lausanne.

Rupture ou mimétisme

Après la vague de surélévations genevoises conçues comme de banales «boîtes» ou des signatures architecturales égocentriques, la question du rapport esthétique au contexte bâti est devenue une réelle gageure. Qu’elle s’exprime en mimétisme ou en rupture avec l’existant, la qualité d’un projet doit nécessairement prendre appui sur des fondements urbains. Réfutant tout projet ex nihilo, les architectes du bureau genevois Lacroix Chessex illustrent ce principe à travers la surélévation de deux étages sur une barre de logements, avenue Wendt à Genève.
L’immeuble a imposé de travailler avec une masse réduite. La structure aérienne entièrement en bois fonctionne par contraste avec la façade maçonnée recouverte de crépi blanc. Le dernier étage en retrait a servi de base au nouveau couronnement qui répète deux fois l’avant-toit, offrant l’expression de strates horizontales. Le choix d’exprimer le matériau bois révèle les grandes poutres de support, dont les têtes sont bien visibles dans les pignons, et rend lisibles les prolongements extérieurs des planchers. Avec son ossature qui devient architecture, cette construction entre curieusement en résonance avec un chalet construit à l’entrée de la rue.

La valorisation

La surélévation peut-elle financer la rénovation énergétique du bâtiment? Avec un coût de 5800 francs/m2 pour l’opération à l’avenue Wendt, l’intervention s’avère coûteuse. Au-delà des cinq ans durant lesquels des loyers modérés sont imposés, les logements, en termes de revenus locatifs, s’adressent généralement à une partie aisée de la population. Spécialiste de l’immobilier chez Wüest Partner, François-Xavier Favre relève qu’il est possible de conjuguer la durabilité, la rentabilité et la valeur des immeubles. «Considérés dans une stratégie globale, les investissements dans la durabilité permettent d’améliorer à terme la rentabilité d’un bien ou d’un portefeuille, ainsi que sa valeur. Augmenter les surfaces par des surélévations est une opportunité. Alors que les échéances légales se rapprochent pour la rénovation énergétique, c’est aussi une solution pour en couvrir partiellement les coûts». Mais il n’existe pas de formule magique. «Tout dépend du type de bien, de sa situation, du montant potentiel des loyers. Autant de critères qui requièrent une analyse multifactorielle».

 

Viviane Scaramiglia