Eviter les métastases, premier pas pour guérir un cancer (affiche du film «Docteur Folamour»).

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hors champ

La paix ne parle pas vrai

11 Sep 2024 | Culture, histoire, philosophie

C’est le drame de notre époque, tel que la Genève Internationale le met en scène chaque jour et dont on voit les coulisses «Hors Champ»: les mots du Bien – paix, droits, santé, école – ne disent plus que des banalités; mais ceux du Mal – par exemple la guerre et ses armes – parlent vrai! Encore un exemple cet été au Palais des Nations, où l’on causait de bombes atomiques (dans le fouillis des agences et traités: voir unidir.org, unoda.org et reachingcriticalwill.org et même thearmstradetreaty.org).

Un traité contre la prolifération nucléaire existe depuis un demi-siècle; dès lors, on a tenu pour acquis que – lentement mais sûrement – le monde marchait vers la démocratie et la prospérité pacifiques, au-delà des lignes. C’est du moins ainsi qu’on le percevait au Nord (et même au-delà) depuis la «Détente» prônée par les deux ennemis d’hier: le «Bloc soviétique» et le «Monde libre», tandis que le Sud ne prenait les armes que le temps de chasser les colons. C’était encore l’Age de la Raison, où on croyait que la Science donnait le Pouvoir au Peuple… et où par chance, les Etats les plus forts étaient aussi les plus libres et savants. Les Brics ne dénonçaient pas encore la Vérité et les Droits comme des masques d’un Occident qui ne savait se mettre en doute et ne voulait lâcher prise.

La Paix aussi est-elle un masque?

Or de nos jours, on voit des Etats brandir leurs bombes atomique face à qui se met en travers de leur chemin; sans parler des illuminés pour qui un feu d’artifice terrestre est une purification avant l’assomption céleste. Les traités de paix, et même les mots de la paix ont-ils encore un sens en ces temps neufs? A écouter les séances qui se sont tenues au Palais des Nations fin juillet – en préparation d’un sommet de 2026 sur le sujet -, on est frappé de l’immobilisme de la rhétorique, surtout celle de l’Union européenne. En revanche, certains clubs de chercheurs – même les plus coutumiers des discours pacifistes – tentaient de mettre leurs concepts à jour pour faire face à une opinion publique moins acquise à leur cause en cette décennie qu’au tournant du millénaire (opennuclear.org; voir aussi nuclear-negociator.co.uk).

Haut niveau ou vide poussé?

Dans une des petites salles des «événements parallèles», un vétéran – prof émérite de pharma reclassé en militant pacifique – a mis le podium au défi de formuler sa position sans le mot «dissuasion». Mais qu’importe: seule une vingtaine de personnes séjournaient dans cette salle où parlaient des chevaliers d’un ordre mondial fédéraliste et négociateur. A l’entrée des autres salles se pressait une foule de diplomates et de militants, mais quand on demandait à ces gens «quel est le sujet exact de ce débat où vous allez?», la réponse la plus commune était «L’Afrique du Sud» ou «La Nouvelle-Zélande»… et si on insistait, on obtenait un «pas la moindre idée… mais c’est organisé par l’Afrique du Sud». Bref, qu’importe le sujet, pourvu qu’on ait l’ivresse d’une poignée de main avec des ambassadeurs.

Politique nucléaire sous Ramsès II

Deux séances portaient sur les applications pacifiques du nucléaire (sustaineddialogue.org): dans la santé, l’agro et… l’archéo (p. ex. pour soigner les momies). Certes, la «non prolifération» est conçue comme un premier pas avant le «désarmement» (qui, lui, limerait les griffes même aux super-grands)… pour en revenir en fin de compte à un nucléaire sans bombes (patates refilées à la «bio»; voir disarmament.unoda.org/biological-weapons/). Noble but mais discours ineptes et inaptes: les rayons X et sont «civils» depuis plus d’un siècle… et sur le seul sujet chaud – les turbines nucléaires – les Nations Unies ne savent plus sur quel pied danser (iaea.org). Alors pour éviter de nouveaux holocaustes atomiques, Ramsès II ou Nimbus III est aussi hors sujet que la Pierre philosophale. Bref et comme vu plus haut, la rhétorique onusienne n’a qu’une logique: mettre une croix de plus dans la «checklist». Qu’importe le flacon, pourvu qu’on puisse dire «santé à la paix!» (et même «égalité de genre» en la matière… fissile, pour citer le thème absurde de certaines sessions)!

Les coups de canon sont une attraction

Plus dans le sujet, les chimpanzés: en réponse à une remarque sur le regain de bellicisme même en (ou entre les) pays démocratique(s), un ambassadeur américain a admis: «Un de mes souvenirs les plus effrayants, c’est un documentaire sur les guerres entre clans de chimpanzés». Et si «Prolétaires de tous les pays, unissez-vous!» n’a pas séduit les peuples à ce jour au point de démoder les guerres, on a même le sentiment qu’ils sont désormais lassés de près d’un siècle de paix. Alors, si une des grandes puissances nucléaires est empêtrée dans une crise de gouvernance – comme les Etats-Unis ces temps -, d’autres peuvent être tentés d’offrir un gain de poker à leur peuple.

Pascal l’aurait parié

Ce fut d’ailleurs le thème d’une des séances les plus vivantes: celle du Forecast Research Institute sur la probabilité d’un désastre nucléaire (soit des dizaines de millions de morts d’ici le milieu du siècle). Il s’agissait d’un sondage auprès d’experts en stratégie, qui évaluaient (en moyenne) le risque à cinq pour cent; et aussi de champions du pronostic (plus optimistes, autour de un pour cent): la discussion porta en grande partie sur la validité de telles statistiques, mais ce fut surtout l’occasion de regarder en face les scénarios du pire: ce que peu de politiciens ou même de peuples aiment faire. Autant être optimiste dans ses prévisions, car si on est pessimiste et qu’on a raison, plus personne ne sera là pour nous glorifier. Une solitaire aventurière de la réflexion soulève souvent ces questions lors des débats de la Genève internationale (onegoalinitiative.org).

Comme Goethe et son «J’y étais!»

En tout cas, ce n’est pas avec de la monnaie de singe qu’on soudera les peuples autour d’un trésor commun à sauver. Au Palais des Nations, le même jour qu’une des réunions citées plus haut, se tenait salle XXVI la journée Nelson Mandela organisée par… OnuSida. «Que vient faire le sida dans cette affaire?», demande le journaliste; «Ma foi… ne sommes-nous pas tous unis pour la paix, la santé, l’égalité?». La communauté internationale en est-elle à collecter des «crédits» comme les mauvais étudiants qui viennent chercher un tampon en fin de colloque?

 

Boris Engelson

ERRATUM
L’hommage à Serge Desarnaulds et Sylviane Beux (voir Hors Champ du 21 août) contenait une erreur: la cousine de Sylviane ne s’appelle pas Eliane, mais Liliane.