culture & nature - Longévité révolutionnaire
Jean Ziegler, 90 ans et un nouveau livre!
Il a fêté ses 90 ans le 19 avril dernier, mais c’est quelques semaines plus tard, par un dimanche tour à tour pluvieux et ensoleillé, comme une métaphore de l’existence humaine, qu’il a célébré ce cap important en famille, avec ses proches et ses amis, dans son village de Russin/GE.
Jean Ziegler est toujours aussi jeune et passionné, toujours infatigable et dynamique, mais il laisse entendre désormais une voix plus intérieure, aussi spirituelle que politique, que le titre de son prochain livre exprime à la perfection: «Où est l’espoir?».
«J’ai 90 ans. Je n’arrive pas à y croire! Chaque jour est un pur miracle. Un premier sentiment, essentiel, m’habite: celui d’une profonde et infinie reconnaissance envers la vie, envers Dieu». C’est par ces mots émouvants que le bouillonnant sociologue genevois Jean Ziegler, irréductible contestataire de l’ordre établi mais petit-fils de pasteur, a accueilli ses invités, début juin, pour célébrer son anniversaire.
Un moment à part, propice à la méditation, dans une vie d’engagement et de combats incessants, tant sur les fronts intellectuels que politiques. Une vie longue et intense, qui accompagna quasiment cinquante ans de l’histoire de la Suisse, depuis la parution de son fameux pamphlet, en 1976, «Une Suisse au-dessus de tout soupçon».
«Notre conscience est immortelle»
«A vues humaines, je vais mourir bientôt», a poursuivi Jean Ziegler, pour ajouter aussitôt que la résurrection, pour lui, restait une évidence. «Oui, il existe une mort naturelle du corps. Mais ma conscience a un destin tout à fait différent: elle est cumulative, elle est habitée par l’infini. Comment cette immortalité de notre conscience, de notre identité personnelle, se concrétise-t-elle? Nous ne le savons pas maintenant. Saint Augustin dit: «La mort est la lampe qui s’éteint quand se lève le jour».
«Je suis attendu»
Jean Ziegler rappelle un exemple qui lui tient à cœur, celui du pasteur allemand Dietrich Bonhoeffer, arrêté par la Gestapo en 1941 pour avoir dénoncé l’assassinat de Juifs et exécuté le 8 avril 1945 sur l’ordre personnel de Hitler qui, dans le climat d’apocalypse général, s’était encore fendu d’un télégramme trois semaines avant son suicide. La veille de sa mort, le pasteur Bonhoeffer avait écrit une lettre sublime: «Demain, je serai exécuté. Mais cela ne sera pas la fin de ma vie. Je suis attendu». «C’est aussi ma conviction, confie Jean Ziegler. Quand le jour se lèvera, je rejoindrai ceux d’entre les miens qui m’ont précédé et qui m’attendent».
Mais rien ne presse, heureusement, et du haut de ses 90 ans, le sociologue genevois constate qu’il lui reste encore beaucoup à faire. D’autant que comme il le répète volontiers, comme pour tenter de maîtriser sa propre et légendaire impatience, «l’histoire avance au rythme des glaciers». Professeur à l’Université de Genève, il a lutté, dit-il, «pour briser l’ethnocentrisme de la sociologie européenne et installer une sociologie radicalement critique». A l’ONU, où il a été nommé en 2001 rapporteur spécial pour le droit à l’alimentation, puis vice-président du Comité consultatif du Conseil des droits de l’homme, il s’est battu pour des causes essentielles que les générations futures devront porter et assumer à leur tour.
En attendant, Jean Ziegler ne lâche rien. «Le combat continue, dit-il. Je viens de remettre aux éditions du Seuil à Paris le manuscrit de mon nouveau livre à paraître en octobre. Son titre: «Où est l’espoir?». Le livre fait l’inventaire des principales catastrophes en cours dans le monde et les combats qu’il s’agit de mener pour les vaincre. Bertolt Brecht disait: «Qui se bat peut perdre, mais qui ne se bat pas a déjà perdu».
Robert Habel
GROS PLAN
Dominique Ziegler: l’histoire des Helvètes en BD
Auteur de théâtre et écrivain prolifique, connu notamment pour ses pièces sur Calvin et Molière, Dominique Ziegler, fils de Jean, est aussi un fan de BD et de mangas. Après le succès au théâtre de sa pièce Helvetius, qui raconte les lointaines origines de la Suisse, il publie avec le dessinateur Félix Ruiz une BD qui porte le même titre (Editions Paquet). Un récit dense et enlevé, qui se lit d’une traite, avec des dessins poignants et spectaculaires.
Helvetius, c’est l’histoire d’un exil qui remonte très loin, à l’époque de Jules César et de l’empire romain. Et c’est bien sûr, en filigrane, l’histoire d’une histoire dure et cruelle qui n’est pas «l’histoire d’un peuple heureux» dont parlait Denis de Rougemont.
Jules César l’audacieux absolu, Pompée l’illustre chef de guerre, Crassus l’homme le plus riche de Rome… Des ambitions rivales, des luttes à mort avec leurs dégâts collatéraux qui n’épargnent personne, nulle part. «En 58 avant Jésus-Christ, explique Dominique Ziegler, Jules César, politicien romain ambitieux et contesté, cherche à déclencher une guerre pour accroître son pouvoir militaire et financier. Au même moment, les Helvètes, des Celtes habitant les deux tiers de la Suisse actuelle, choisissent d’émigrer. Le destin va les mettre face à face. A l’intérieur du monde romain comme du monde celte, la division et la trahison règnent. L’ombre de la destruction plane».
Helvetius, c’est beaucoup plus qu’Helvetius: c’est aussi l’histoire qui se déroule aujourd’hui sous nos yeux, un peu partout dans le monde…
R. H.