Finance durable – Entretien avec Edouard Cuendet
Des savoir-faire accrus à tous les échelons
Pôle international en finance durable, Genève aiguise sa capacité à réunir les meilleurs talents en renforçant son offre à tous les échelons de la formation, initiale, continue et académique. L’Association suisse des banquiers (ASB) franchit un nouveau cap dans ce vaste mouvement, tandis qu’une réforme majeure attend l’apprentissage commercial à la rentrée 2023. Le point avec Edouard Cuendet, directeur de la Fondation Genève Place Financière.
Avec l’agenda mondial qui vise, à l’horizon 2030, à atteindre les dix-sept Objectifs de développement durable (ODD) adoptés par les Nations Unies en 2015 pour protéger la planète, éradiquer la pauvreté, assurer la paix et la prospérité à tous les peuples, et entend d’ici 2050, réduire à zéro les émissions nettes de gaz à effet de serre selon l’Accord de Paris sur le climat, l’impact croissant de la finance durable crée de nouvelles opportunités de carrières passionnantes. D’autant que des efforts consistants se développent pour renforcer le savoir-faire des collaborateurs et collaboratrices en la matière et l’intégrer à tous les échelons de la formation.
Genève, un écosystème unique
A l’heure où la finance durable n’est plus une solution de niche, pas question pour la Suisse de se reposer sur ses lauriers si elle tient à conserver sa place de leader en la matière. Le créneau fait désormais partie intégrante des stratégies d’investissement et l’offre de produits de placement durables, qui affichent des taux de croissance à deux chiffres depuis des années, s’est étendue à presque toutes les classes d’actifs.
«Pionnière avec de tels produits financiers lancés dès les années 1980, la Suisse connaît effectivement une avancée fulgurante dans la finance durable», observe Edouard Cuendet, directeur de la Fondation Genève Place Financière. Le volume de ce type de placements a progressé de 30% entre 2020 et 2021, pour atteindre plus de 1980 milliards de francs, selon les statistiques publiées en juin dernier par Swiss Sustainable Finance (SSF). «Dans ce mouvement, Genève occupe une position centrale, grâce à son écosystème florissant qui réunit tous les acteurs susceptibles d’accélérer cette transition verte: les établissements financiers, les asset managers, l’ONU, les ONG et autres organisations internationales, auxquels s’ajoutent un secteur académique de pointe, de grandes fondations privées et des autorités politiques engagées. C’est aussi à Genève qu’a été lancé, en 2019, Building Bridges, l’initiative conjointe des partenaires suisses et internationaux pour un modèle économique durable, qui tiendra son troisième sommet dans la cité en octobre prochain».
Que l’on soit spécialiste, gestionnaire d’actifs, banquier, analyste, chercheur, consultant, étudiant ou apprenti, tous ceux qui souhaitent avoir un impact positif sur le développement mondial rencontrent ainsi un contexte particulièrement favorable pour répondre aux demandes croissantes des institutions financières et aux attentes de leur clientèle.
Les trois portes d’accès aux métiers de la finance durable
«La place financière genevoise génère plus de 35 000 emplois et contribue à hauteur de 13% au PIB cantonal, rappelle notre interlocuteur. Un secteur d’activités essentiel dans lequel l’optimisation des compétences joue un rôle décisif, notamment en matière de finance durable, qui figure parmi les spécialisations prometteuses les plus recherchées». Selon l’Office fédéral de la statistique, à fin 2020, 23% des personnes dédiées au domaine de la finance ont suivi un apprentissage, 43% sont titulaires d’un diplôme universitaire, contre 28% pour les autres secteurs économiques. Une diversité de cursus qui doit faire écho aux offres de formations initiale, continue et académique. Selon l’analyse 2020 de l’Office fédéral de l’environnement (OFEV), «l’intégration du développement durable dans les différentes filières n’en est encore qu’à ses débuts, la bonne nouvelle étant que nous profitons d’un excellent paysage de recherche et de formation en sciences de l’environnement et en finance et que le secteur financier est suffisamment fort pour donner un coup d’accélérateur aux formations axées sur la pratique».
Une formation en progression croissante, axée sur la transition durable.
Evolution de l’investissement durable en Suisse (en milliards de CHF).
Les nouvelles offres de formation
Détentrice d’un savoir-faire pointu, Genève bénéficie déjà d’une offre de qualité. Les offres des formations continues certifiantes en finance durable sont proposées par la Haute école de gestion (HEG), en partenariat avec SSF, et par l’Institut Supérieur de Formation bancaire (ISFB). Dans le domaine de la gestion de fortune, la certification SAQ CWMA (Certified Wealth Management Advisor) destinée aux conseillères et conseillers à la clientèle, a été mise en place en 2017. Elle est aujourd’hui devenue un standard incontournable de la branche, suite à l’entrée en vigueur de la LSFin (Loi fédérale sur les services financiers) en janvier 2020. Avec les exigences relatives à la durabilité, renforcées depuis 2022, les 16 000 professionnels certifiés vont encore accroître leur niveau d’expertise.
En lien avec l’apprentissage, la nouvelle formation commerciale de base intégrera le sujet clef du développement durable. «Majeure, la réforme entrera en vigueur à l’été 2023. Des modules spécifiques traiteront des produits financiers de cette catégorie. Par ailleurs, le développement durable sera au cœur de l’enseignement dans le domaine des compétences de conseil».
La formation académique n’échappe pas aux objectifs verts. L’Université de Genève propose plusieurs «Certificate of Advanced Study (CAS) et Masters en finance durable. Pour sa part, l’Institut de hautes études internationales et du développement (IHEID) lance à l’automne 2022 un nouveau Master en finance et développement durable qui vient s’ajouter au CAS SDG Investing.
La Place financière renforce son engagement
Avec deux nouvelles autorégulations, l’Association suisse des banquiers (ASB) a fixé le 28 juin 2022 des prescriptions minimales pour la prise en compte des critères de durabilité ESG (Environnement, social et gouvernance) dans le conseil en placement et la gestion de fortune, ainsi qu’en hypothèques en lien avec l’immobilier, relatives à l’amélioration de l’efficacité énergétique des bâtiments et la préservation de leur valeur à long terme. Intégrées à un plan de mesures global dans le domaine de la finance durable, ces deux textes qui entreront en vigueur le 1er janvier 2023 visent à renforcer, par le biais de la formation initiale et continue, la qualité déjà élevée des conseils à la clientèle.
La montée en puissance de l’offre pédagogique à tous les niveaux démontre à quel point la formation dans le domaine de la finance durable constitue un moteur puissant pour accompagner la transformation de l’économie réelle vers un modèle décarboné et inclusif.
L’attractivité fiscale, le nerf
de la guerre
«La Suisse réunit tous les atouts pour rester compétitive dans le domaine de la finance durable, mais ses efforts se heurtent aux conditions-cadres fiscales en vigueur», souligne Edouard Cuendet. Alors que les obligations vertes représentent un marché en plein essor, elles peinent à prendre leur envol en Suisse. La Bourse SIX leur a ouvert les portes en 2014, mais le volume d’émissions n’atteint aujourd’hui que 24 milliards de francs, avec 75 obligations cotées. Une frustration face à la vigueur de ce marché sur les places financières concurrentes, et notamment au Luxembourg, qui affichait plus de 1300 obligations vertes en mars dernier, équivalent à 675 milliards d’euros: une expertise en matière de financement qui ne profite pas qu’aux entreprises basées sur place.
A contrario, «la Confédération perçoit un impôt anticipé de 35% sur les revenus d’intérêts, ce qui constitue un handicap majeur pour l’émission d’obligations vertes en Suisse. La réforme de la Loi sur l’impôt anticipé qui sera soumise au vote populaire le 25 septembre prochain revêt une importance cruciale pour notre attractivité financière et pour l’ensemble du tissu économique helvétique».
Viviane Scaramiglia
GROS PLAN
La Cité des Métiers du
22 au 27 novembre 2022
Du 22 au 27 novembre, La Fondation Genève Place Financière sera présente à la Cité des Métiers, à Palexpo, pour faire découvrir les métiers, les formations et les grands enjeux du monde de la banque et de la finance.