Lors de la réhabilitation par Linkcity du Collège Truffaut (Lyon) en un lieu de vie multi-usages dédié à la jeunesse, de nombreux matériaux ont été réemployés in situ et sur d’autres projets.

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Spécial énergie - Séminaire ciblé de Wüest Partner

Zéro net: c’est possible!

14 Juin 2023 | Articles de Une

Pour atteindre l’objectif zéro émission nette à l’horizon 2050, le parc immobilier existant revêt une importance décisive, car il représente environ 24% des émissions de gaz à effet de serre et 45% des besoins énergétiques finaux en Suisse. Les investisseurs institutionnels, en tant que grands propriétaires immobiliers, jouent un rôle essentiel dans la réalisation des objectifs de la stratégie énergétique. Wüest Partner organise depuis 2018, avec le soutien d’Energie Suisse et à l’intention de ce groupe cible, une série de manifestations spécialisées d’une demi-journée. Lors de l’édition qui s’est tenue récemment à Genève, des experts de haut niveau ont présenté leurs stratégies de réduction de CO2, ainsi que des technologies et des bâtiments innovants.

Le programme de cette année a été particulièrement riche, avec l’exposé d’un grand promoteur français et celui d’un investisseur romand. L’apport des données et le choix des matériaux de construction dans la réalisation des grands défis énergétiques ont également été au centre des débats.

Impact des mesures environnementales sur la qualité de vie urbaine

En tant que développeur immobilier de Bouygues Construction, Linkcity s’engage pour la transition écologique en agissant sur les thématiques du bas carbone, de l’économie circulaire et de la biodiversité. Ces sujets sont abordés, autant que possible, en relation avec la qualité d’usage et le bien-être de la population. Christine Grezes (directrice RSE et Innovation) et Katell Guillemont (responsable RSE et Innovation), de Linkcity France, ont évoqué le contexte hexagonal, notamment la nouvelle réglementation environnementale évolutive dite RE2020. En lien avec cette dernière, la Loi anti-gaspillage pour une économie circulaire (AGEC) fixe un objectif de 70% de valorisation des déchets durant les activités de construction, ainsi qu’un diagnostic «ressources» obligatoire pour toute démolition et le tri des déchets sur les chantiers. Enfin, l’enjeu Zéro Artificialisation Nette (ZAN) en 2050 se traduit par une loi qui incite à la densification (surélévation ou formes urbaines plus compactes).
En tant que levier de décarbonation, le réemploi prend une importance croissante dans les opérations. Treize projets pilote sont menés par Linkcity depuis 2021; comme c’est le cas en Suisse, les filières françaises du réemploi se mettent en place progressivement. Outre le réemploi, une conception des bâtiments en fonction leur réversibilité est une autre démarche propre à l’économie circulaire. Il peut s’agir de lieux à usage temporaire, comme les Jeux Olympiques, ou de sites dont l’avenir dépend de l’évolution incertaine du marché (bureaux par exemple). Dans d’autres cas, l’idée de modification urbaine est à intégrer dès les prémices du projet. Pour le grand promoteur français, la «surperformance» des volets environnementaux et sociétaux doit être démontrée aux investisseurs: quels flux monétaires positifs (revenus et réduction des dépenses) génère-t-elle tout au long de la vie de l’actif immobilier? Par le biais d’une méthodologie élaborée avec Wüest Partner, Linkcity a testé l’impact économique des critères ESG (pour Environnement, Social et Gouvernance) sur trois projets: une plus-value de 9 à 12% – par rapport à un objet immobilier qui répond à la réglementation standard – a été observée. Il est prévu de systématiser cette analyse qui représentera un argument convaincant pour nombre d’investisseurs/promoteurs hésitant à se lancer dans des démarches de ce type.

Comparaison de la trajectoire CO2 de plusieurs pays pour atteindre le net zéro carbone en 2050.
Realstone mène un projet pilote: des panneaux solaires ont été installés tout autour du parking de Sébeillon (Lausanne) pour chauffer des surfaces habitables.

Innover et fédérer les parties
prenantes

La stratégie EESG (le «E» supplémentaire est pour Economie) d’un fonds de placement immobilier suisse, Realstone SA, a été présentée par son CEO, Julian Reymond. Celui-ci a montré que la Suisse se trouve, face aux autres pays, dans une position médiane quant à sa trajectoire de réduction des émissions de CO2. Et pourtant, les investissements dans la rénovation énergétique et la construction d’immeubles neufs performants sont profitables aussi bien aux locataires (charges diminuées) qu’aux investisseurs (rendements améliorés). La stratégie de Realstone est basée sur une analyse des risques, liés notamment aux exigences légales: il vaut donc mieux anticiper que subir. «Tout propriétaire de parc immobilier devrait rénover deux à trois fois plus qu’actuellement, un rythme accru qui requiert non seulement d’importants investissements, mais aussi des matériaux en quantité et une main-d’œuvre considérable», insiste Julian Reymond.
Incitations, innovation, écogestes et monitoring de l’énergie sont des aspects à prendre en compte. Realstone entend relever ces défis: quelque 50% de ses immeubles sous gestion sont encore alimentés en énergie fossile. Les investissements de rénovation de la Fondation – soit près de 200 millions de francs – ont été planifiés sur les dix prochaines années. Cela implique des diagnostics pointus, une estimation des coûts et une priorisation des opérations. Le principal défi consiste toutefois à réunir les multiples acteurs, aux intérêts divergents, autour du même objectif, qui est celui du zéro carbone. Il s’agit également d’avoir un langage commun quant aux types de mesures permettant de calculer le CO2, sans oublier l’énergie grise encore peu prise en compte dans les évaluations. Avancer pas à pas, rester réaliste et transparent par rapport aux parties prenantes, sont les solutions préconisées par Julian Reymond.

Ajouter une brique technologique aux bâtiments

Maël Perret, CEO d’E-nno, start-up spécialisée dans le monitoring des consommations, a rappelé la signification de «zéro émission nette»: toutes les émissions de gaz à effet de serre produites par l’activité humaine doivent être retirées de l’atmosphère à l’aide de mesures de réduction pour que le bilan climatique net de la Terre équivale à zéro. Dans le domaine de la construction, si des améliorations sont notables durant la phase d’exploitation, un important travail reste à faire pour les autres étapes, de l’extraction des matériaux jusqu’à la gestion des déchets, en passant par le transport et la manutention A relever en outre que 75% du parc immobilier suisse ont été édifiés avant les années 1990, ce qui rend la tâche colossale.
«Les données utilisées intelligemment jouent un rôle crucial dans la transition énergétique», a affirmé Maël Perret. Certaines données (aménagement du territoire, environnement, démographie, etc.) sont disponibles librement au niveau fédéral et cantonal, ou encore via son fournisseur d’énergie, permettant au propriétaire d’estimer le potentiel des bâtiments et sur cette base, de lancer des travaux. Cependant, ces informations ne sont pas toujours de qualité suffisante (mise à jour, par exemple). Des données fines et fiables sont nécessaires pour prendre des décisions éclairées en termes d’optimisation énergétique ou de rénovation, et atteindre des objectifs ambitieux.
La technologie E-nno se met en interface avec les installations techniques du bâtiment, qu’elles soient anciennes ou nouvelles. Durant les premiers mois, des données relatives aux variations météorologiques et au comportement thermique de l’immeuble sont collectées (plus de 100  000 points de données/an). Suivre les consommations journalières peut être utile pour la détection des pannes ou dérives et pour y remédier rapidement. Les algorithmes prennent ensuite le relais: des corrections de réglage sont envoyées régulièrement aux équipements, afin d’en optimiser le fonctionnement, le tout de manière totalement autonome. Enfin, les informations récoltées permettent d’anticiper d’éventuels travaux énergétiques. D’autres outils comme E-nno existent sur le marché, mais Maël Perret met en garde les utilisateurs sur la nécessité de garder le contrôle de leurs données et de s’assurer que les partenaires travaillent ensemble au sein d’un même «écosystème».

Pour le chantier participatif de Soubeyran/GE, c’est la paille qui a servi d’isolant, rendant la façade perspirante (gestion de la vapeur d’eau) par absorption et désorption.
A la Bistoquette/GE, un immeuble THPE de 104 logements en cours de réalisation, la technique de la paille insufflée est mise en œuvre.

Repenser les matériaux de construction

Alors que le béton et le polystyrène restent, pour leur facilité de mise en œuvre, les références clefs du bâtiment, un élan se fait sentir en faveur des matériaux écologiques. Les architectes Stéphane Fuchs (administrateur) et Sébastien Natta, du bureau genevois atba, ont relevé la diversité et les avantages de ces derniers. L’isolation synthétique en polystyrène peut être remplacée par une isolation à base de laine de roche, de lin, de bois ou de verre, de la fibre cellulose ou des bottes de paille. L’impact carbone de ces matériaux a été analysé sur la durée de vie théorique du bâtiment (60 ans), en y intégrant les phases de fabrication, de transport, de pose et d’élimination. A performance thermique équivalente, les conclusions sont claires: les émissions de gaz à effet de serre sont inférieures avec des matériaux naturels. Ils doivent cependant être utilisés en plus grande quantité (parois plus épaisses) que les isolants synthétiques. Ces matériaux permettent également d’éviter la surchauffe estivale du bâtiment. Ils procurent une sensation de confort, tout en favorisant la relation des occupants avec la matière. Malgré ces atouts, les projets innovants sont parfois freinés par le carcan législatif, par exemple le calcul de surface brute de plancher (SBP) à Genève, ou les normes anti-feu.
Les coopératives sont pionnières dans l’usage des matériaux naturels pour la construction. Lors du chantier participatif de Soubeyran/GE, c’est la paille qui a servi d’isolant. A Maisonneuve/GE, le bâtiment a été réalisé avec des caissons de paille préfabriqués, une utilisation plus simple que les bottes de paille. A la Bistoquette/GE, un immeuble THPE de 104 logements en cours de construction, la technique de la paille insufflée est mise en œuvre. Certes, le recours aux matériaux écologiques est un peu plus cher que les éléments synthétiques; des économies doivent par conséquent être faites sur d’autres aspects: le béton peut, par exemple, être laissé apparent. Selon Stéphane Fuchs, réaliser des bâtiments en matériaux écologiques est possible à large échelle, mais demande une volonté forte dès la phase de conception, une dose de créativité de la part des architectes et un réapprentissage de techniques ancestrales.

 

Véronique Stein

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