Spécial énergie - Construire en bois à Genève
Vers quels grands projets de l’Etat?
La persévérance de Lignum-Genève, association promouvant depuis plusieurs décennies la filière du bois et dont la présidence vient de passer de Claude Haegi à Roger Beer, porte enfin ses fruits. Pour les amis du bois, c’est aujourd’hui la fête: l’Etat de Genève favorise les constructions en bois pour des projets d’importance, investissant environ un milliard de francs dans ce changement spectaculaire. Réunis lors de son Assemblée générale, Lignum-Genève a convié des responsables de services cantonaux ainsi que des architectes pour présenter, à un large public, les projets ambitieux de l’Etat.
Territoire restreint, Genève protège ses espaces naturels – forestiers notamment – avec une attention soutenue. Cependant, en ce qui concerne l’usage du bois dans la construction, le canton est à la traîne: «La culture du bâti en bois est peu présente chez nous», souligne Claude Haegi. Les matériaux traditionnels comme le béton et l’acier sont encore privilégiés, les architectes et ingénieurs justifiant souvent ces choix par les difficultés à réaliser des bâtiments en bois et une administration pointilleuse. Cependant, les choses sont en train de changer, une évolution portée par les autorités qui imposent des responsabilités environnementales dont un usage plus large du bois dans la construction.
Bois, matériau bas carbone par excellence
L’utilisation de bois et de bio¬matériaux est une mesure efficace et rapide pour réduire fortement l’empreinte carbone de la construction. C’est ce que révèle, chiffres à l’appui, l’étude «La construction bois: la meilleure solution pour le climat», commanditée par l’Etat au bureau Quantis. Elle démontre qu’un bâtiment privilégiant une construction en bois réduit son impact climatique de 30% à 40%, voire davantage, par rapport à un bâtiment conventionnel en béton. Le bois agit comme un puits de carbone. Il extrait du CO2 de l’atmosphère durant sa croissance et le stocke durant la durée de vie du bâtiment.
Pendant ce temps, dans le cadre d’une exploitation durable de la forêt, du CO2 additionnel est progressivement stocké par les nouveaux arbres qui pousseront sur l’espace libéré en forêt. Patrik Fouvy, directeur du Service cantonal de la biodiversité et des forêts, relève que construire à Genève systématiquement avec du bois local, combiné à des biomatériaux, permettrait d’économiser 200 000 tCO2/an. Cela contribuerait pour une bonne part à atteindre les objectifs climatiques que le canton s’est fixé, en particulier dans son Plan Climat – deuxième génération.
A la recherche d’une nouvelle authenticité architecturale
Sandro Simioni, directeur des constructions (DCO) à l’Etat de Genève – entité en charge de la supervision des études et réalisations des bâtiments neufs de l’Etat (bâtiments scolaires, pénitentiaires, administratifs, hospitaliers, militaires, etc.) – indique qu’au cours des dernières années, le nombre de projets en bois s’est fortement accentué. Cette tendance s’explique en partie par les aspects du développement durable qui sont désormais imposés de manière contraignante dans les cahiers des charges des concours d’architecture.
Le nouvel hôpital des enfants des HUG, à la Roseraie, est justement le fruit d’une mise en concours, dont le lauréat est l’agence Architecturestudio. L’édifice – dénommé «Mikado» – sera quasi intégralement construit en bois (noyau de la structure en béton armé) selon «une architecture de guérison alliant confort et fonctionnalité». Livré en 2029 pour un coût des travaux de 130 millions de francs, le futur bâtiment comprendra huit niveaux, dont six étages dédiés aux unités de soins. La maintenance des façades est facilitée par la réalisation de terrasses-coursives. La mise en valeur du principe constructif est recherchée par la structure bois qui se révèle dans les espaces domestiques. Outre la matérialité, le jury a été conquis par l’ouverture sur l’extérieur et la conception moderne de l’hôpital que présente ce projet; autre aspect clef: la large place accordée aux familles dont on sait que la présence aux côtés de l’enfant est essentielle et contribue à son rétablissement.
A Meyrin au lieu-dit «La Gravière», la nouvelle école pour l’enseignement secondaire II (ES II) est destinée à quelque 1400 élèves et leurs enseignants; les études sont en cours pour une livraison en 2029. Le projet lauréat (coût: 190 millions de francs) du bureau genevois GDAP Architectes Sàrl s’inscrit dans un concept énergétique ambitieux, coordonné avec la politique énergétique cantonale et celle de la ville de Meyrin, Cité de l’Energie. Implanté sur une parcelle de 30 000 m2, l’équipement regroupe l’ensemble du programme scolaire dans un seul bâtiment finement articulé, s’affirmant en limite de la Cité Meyrin tout en s’inscrivant dans la composition urbaine de celle-ci. L’école joue de décalages dans sa volumétrie qui lui permettent d’organiser son rez-de-chaussée de manière subtile et de le lier à ses aménagements extérieurs. Il en résulte une diversité d’espaces appropriables par les élèves et la population (certains espaces seront ouverts à tous en dehors des horaires scolaires). Les architectes ont adopté une trame modulaire régulière de 2,65 mètres. Le système constructif est simple et efficace, avec une structure principale poteaux-poutres en bois; elle est complétée par des planches mixtes et des noyaux verticaux en béton pour assurer inertie de masse et rigidité structurelle là où, et seulement où, c’est nécessaire. Des coursives filantes tout autour du bâtiment permettent d’assurer à la fois une bonne protection contre le bruit et contre le soleil estival. A noter que 60% du bâtiment est vitré pour favoriser la transparence et le sentiment d’ouverture sur l’extérieur.
Pour répondre à la hausse du nombre d’élèves et des besoins en infrastructures, la construction d’un bâtiment de formations mixtes s’est avérée indispensable. Les caractéristiques du futur groupe scolaire, qui sera situé aux Cherpines à Confignon, ont été déterminées grâce à un concours d’architecture, remporté par le bureau lausannois Ferrari architectes avec son projet «Cé Qu’É Lainô» (coût: 160 millions). Prévu pour la rentrée 2029, cet établissement prend place au centre d’un vaste espace public défini par des bâtiments de gabarits considérables. Le projet propose une forme articulée de faible hauteur composée de trois entités qui se rattachent au quartier en définissant naturellement des espaces extérieurs variés et partiellement clos. Toute la structure du bâtiment est en bois, alors que celle des coursives en façade est en maçonnerie. Des murs en terre crue sont envisagés par les architectes, matériau qui viendra compléter judicieusement le bois. Le rez-de-chaussée regroupe l’ensemble des fonctions accessibles au public en dehors du temps d’école. Un généreux hall d’entrée rattache ces différents programmes à vocation publique et donne accès aux étages supérieurs. Prenant place sur deux niveaux, le programme scolaire s’enroule en «aile de moulin» autour de trois patios définissant trois clusters de plus petite échelle rattachés entre eux par des placettes de rencontre. Le plan génère des espaces de circulations variés multipliant les vues sur l’extérieur et à travers les patios, offrant une orientation aisée dans le bâtiment.
A Bernex (secteur de la «Goutte de Saint-Mathieu»), un concours a porté sur la construction de deux établissements scolaires, soit un cycle d’orientation et deux centres de formation professionnelle, santé et social. Le projet lauréat (GDAP architectes) prévoit une mixité de matériaux, soit des poteaux poutres en bois et «une couronne» de béton bordant un patio, dualité de matériaux qui se retrouve en façade. L’édifice sera mis en service à l’horizon 2030 pour un coût des travaux de l’ordre de 300 millions.
Un bâtiment pilote
Le nouveau bâtiment de la Haute école de santé de Genève (HEdS) au chemin Thury à Champel, dont les travaux ont débuté cet été, fait suite à la décision du Conseil d’Etat d’augmenter la capacité d’accueil de la HEdS. Relié à l’actuelle HEdS de Champel et intégré à l’arborisation du coteau, il permettra de regrouper toutes les filières Santé sur un seul site, créant un véritable «campus santé» dans le quartier Champel-Cluse-Roseraie. Ce chantier représente le plus important projet pilote actuel de l’Etat de Genève en matière de construction en bois: il s’agit de «Trait de Jupiter» du bureau group8, projet lauréat d’un concours d’architecture. Les niveaux supérieurs de ce bâtiment sont construits entièrement en bois (programme scolaire) sur un socle en béton (programme ouvert au public).
L’organisation du plan s’agence autour d’un escalier majeur qui identifie le cœur de l’école et incarne le lieu des parcours et des rencontres. Chaque angle des redents, en contact visuel avec les arbres, est à disposition des espaces d’étude. Employé «tel quel», le bois structurel contribue d’abord à produire une atmosphère intérieure, puis énonce l’histoire de sa construction par un assemblage formant une grande ossature. La façade est constituée par l’alternance d’un cerclage de bandeaux vitrés et d’allèges continues parées de faïence vernissée, conférant une identité forte au bâtiment.
Des atouts multiples
Lors de la soirée organisée par Lignum-Genève, la question de la longévité des constructions en bois a été soulevée: il en ressort que le bois est un matériau durable, pour autant que les essences choisies soient adéquates, que le bâtiment ne présente pas de «piège à eau» et que ses éléments soient bien ventilés. Les façades prégrisées ou la mise en place de coursives protectrices sont des solutions intéressantes. Quant à la résistance au feu, alors qu’une structure métallique cède aux températures les plus élevées, une charpente bois résiste. Sa lente combustion la rend prévisible et donc plus facile à gérer. En outre, en se consumant, le bois ne dégage pas de gaz nocif, ce qui atténue le danger. Ainsi, un bâtiment qui respecte les prescriptions de protection incendie est parfaitement sûr, même jusqu’à 100 mètres de hauteur. L’approvisionnement en bois est une autre problématique à considérer: bien que la région transfrontalière dispose d’une bonne réserve, des investissements pour la gestion de la filière restent nécessaires, en particulier en équipant notre territoire régional de scieries modernes.
Malgré ces freins, pour les divers projets dont l’Etat a la maîtrise d’ouvrage, les architectes ont choisi le bois non seulement pour ses atouts environnementaux et son faible bilan carbone mais aussi pour ses possibilités constructives ainsi que sa modularité. La variété des essences, chacune dotée de qualités propres et d’applications diverses, font du bois un matériau fascinant. S’ajoute une dimension qualitative: des études ont démontré l’effet positif du bois sur la santé et le bien-être, notamment en termes d’apaisement. Un bénéfice à prendre en compte pour apporter un peu de sérénité dans nos villes!